Note de lecture : Gracchus Babeuf de Jean-Marc Schiappa


Sujet de prédilection de l’auteur, celui-ci réussit à renouveler le genre. Parler et écrire sur le Tribun du peuple n’a jamais été un exercice facile, mais, pour la première fois, selon moi, le sujet est abordé avec clarté et est compréhensible pour les lecteurs. Les différents auteurs ont essayé de coller au plus près des textes pour ne pas trahir le sujet, mais cela rend parfois la lecture ardue. Ce n’est pas le cas dans cet opus. Il y aussi une fin intéressante sur ce qui reste de Babeuf aujourd’hui dans la mémoire collective et les ouvrages.

On pourrait paraphraser Arthur Koestler sur Spartakus : « Trop tôt, trop tard, trop vite », mais cela serait réducteur. Il ne pourrait y avoir de Babeuf sans la Révolution française, et son communisme est d’ordre politique et non social. Cela est très bien expliqué. Le révolutionnaire est consubstantiel à la révolution, car « elle est la guerre entre les riches et les pauvres ».

Les libres penseurs sont aussi des historiens et Babeuf est dans cette lignée quand il disait : « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble. » Il est un profond égalitaire, et c’est ce qui guide toute son action. Bien avant d’autres, il a compris et affirmé que c’est la propriété qui est source d’inégalité. Et c’est pourquoi, les propriétaires de toutes sortes lui en voudront de manière acharnée. On le verra avec force dans le procès de Vendôme. Et comme les libres penseurs, il est un homme de combat, s’il poursuit Rousseau, c’est en lui donnant des muscles et une perspective. La morale de Kant n’avait pas de mains, Babeuf en donne à Rousseau.

On voit bien que François-Noël Babeuf était un homme de cœur qui aimait profondément sa famille et qui souffrait des affres qu’elle subissait. Il n’en est que plus attachant pour cela. Ce n’était pas un parvenu et il a souffert de la misère tout le long de sa vie avec, quelquefois, des intermèdes plus paisibles.

L’auteur ouvre un nouveau chantier : Babeuf a-t-il été franc-maçon ? En tout cas, il semble qu’il ait été intéressé par la question, comme sujet et comme objet. Il y a de très beaux passages pour expliquer que la violence des humbles n’est que le produit de la violence des maîtres qui ont une double responsabilité en la matière : celle d’utiliser la violence pour dominer et celle ne pas avoir éduqué le peuple contre.

On voit que le révolutionnaire était profondément athée et anticlérical et partisan du principe laïque : « Qui veut le culte le paie » et « le christianisme et la liberté sont incompatibles ». La Conjuration des Egaux et le procès qui s’ensuit sont très bien détaillés et c’est fort intéressant sur la diversité des conjurés. L’attitude de Babeuf est alors basée sur l’analyse que quelque chose va se produire dans le pays, qui modifiera le cours des choses. C’est assez bien vu, même si cela ne se passe pas, comme toujours, dans le sens souhaité.

Il a des prémonitions sur « le droit au travail » qui anticipe la naissance du prolétariat et de ses droits. Il va aussi revenir sur son jugement négatif sur Robespierre et se situera ensuite, comme Jaurès plus tard, « à ses côtés à la Convention » et « en relevant le robespierrisme, vous êtes sûrs de relever la démocratie ».

C’est vraiment un ouvrage à recommander, il vous appendra encore plein de choses.

Ch. Eyschen

Éditions Fayard, 378 pages. 23 euros. Disponible à la FNLP.

Jean-Marc Schiappa est historien, président de l’Institut de recherches et d’études de la libre pensée. Spécialiste de la Révolution française et de Gracchus Babeuf, il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la laïcité, au mouvement ouvrier et à la Révolution française, dont Buonarroti, l’inoxydable (Éditions libertaires, 2007), Gracchus Babeuf, pour le bonheur commun (Spartacus, 2015), François Robin (1755-1797) (Éditions libertaires, 2016), ou plus récemment La Révolution expliquée à Marianne (Éditions François Bourin, 2019).