Lecture: Élisée Reclus ou La passion du monde…


« Je ne veux avoir sur le front la marque d’aucun maître, je veux garder ma libre pensée, ma volonté intacte, ne rendre compte de ma conduite qu’à ma conscience ! »

Elisée Reclus 30 mars 1830 – 4 juillet 1905

Né le 30 mars 1830 à Sainte-Foy-la-Grande (Dordogne), Élisée Reclus est le quatrième enfant d’une nombreuse fratrie (17 enfants dont 14 vivants) ; fils du pasteur Jacques Reclus, qui a choisi d’exercer au sein d’une communauté libre près d’Orthez et, de Zéline Trigant intellectuelle, pédagogue à la ferme familiale.

Les conditions de vie familiales austères et frugales, la discipline rigoureuse, souderont la fratrie dans la pratique d’un idéal élevé et de révolte, impulsé par les deux frères aînés Elie né en 1827 et Élisée né en 1830. Tous sont animés d’un appétit de savoir et de découverte et, la famille restera soudée en dépit de la dispersion.

En 1848-1849, Élisée et Élie suivent des études de théologie à la faculté de théologie protestante de Montauban. Ils en sont exclus à l’été 1849 pour des raisons politiques.

En 1851, manifestant publiquement contre le coup d’État, les deux frères Elie et Élisée, à la tête du mouvement républicain sont contraints à l’exil. Les voyages géographiques conduisent alors Élisée à travers le monde ; son activité de rédacteur d’articles et de documentaires pour La Revue des Deux Mondes, est empreinte d’un fort naturalisme et de poésie.

Mués par un idéal de socialisme humaniste, libres penseurs, révolutionnaires et communautaires, Élie et Élisée font l’expérience, toutefois brève, tandis que les ouvriers se groupent en association internationale, de la Banque du Crédit au Travail, pour prêter aux travailleurs réunis en coopératives.

Avec Michel Bakounine, rencontré à Florence en 1865, ils créent les coopératives de consommation et d’assurance inspirées des idées de coopératives mutuelles de Proudhon. Après une courte expérience au sein de l’Association Internationale des Travailleurs, Bakounine et ses amis démissionnent pour fonder l’Alliance de la Démocratie socialiste.

L’idéal anarchiste utopique d’une vie équilibrée et harmonieuse prône le fédéralisme de la terre entière et les associations fondées sur le travail. La pratique révolutionnaire, libertaire et féministe de la grande famille Reclus, amène naturellement Élisée Reclus à être signataire, en 1866, du manifeste des droits de la femme.

La participation active d’Élisée Reclus à la Commune lui vaut une condamnation du conseil de guerre du 15 novembre 1871, à la déportation simple en Nouvelle-Calédonie. Le 15 février 1872, la peine est commuée en 10 ans de bannissement sur l’impulsion d’une forte pétition initiée par la société de géologie et de géographie de Londres. Élisée Reclus s’exile en Suisse. Son ami Bakounine exilé en Italie, meurt en 1876 ; Élisée s’emploie alors, à éditer ce qu’il reste de l’œuvre monumentale de celui-ci.

La même année, Pierre Kropotkine, proscrit, intègre la fédération jurassienne de l’Internationale suisse. Géographe du relief et de l’Asie septentrionale, il collabore avec Élisée Reclus à l’élaboration d’ouvrages géographiques et, ensemble, ils développent les thèmes anarchistes dont Élisée Reclus devient le porte-parole en 1897.

Après son exil en Suisse, en 1892, Élisée accepte une proposition de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui lui offre une chaire de géographie comparée. Alors que ses cours doivent commencer en mars 1894, un de ses textes intitulé « Pourquoi sommes-nous anarchistes ? » est diffusé sur le campus bruxellois. Dans ce texte, il condamne la bourgeoisie, les prêtres, les rois, les soldats, les magistrats qui ne font qu’exploiter les pauvres pour s’enrichir. Le conseil d’administration de l’ULB prie Élisée Reclus de reporter son cours sine die, ce qui provoque la démission du recteur de l’université Hector Denis et de plusieurs professeurs. L’idée de créer une institution concurrente, la « Nouvelle » Université libre de Bruxelles ou Université nouvelle apparaît et se concrétise en 1894. Université nouvelle qui fusionnera en 1919 avec l’ULB.

L’anarchie vise la destruction des hiérarchies sociales, la suppression de la propriété privée (mais, pas des biens personnels), la suppression de l’héritage, la suppression de l’état garant et support de ces institutions, instaurant la lutte pour une société libre où l’homme, libéré de l’asservissement par l’ordre social atteindrait la plénitude de son être.

Dans L’Homme et la Terre – testament géographique – Élisée Reclus revendique cette lutte idéaliste pour la cause du peuple. Anarchiste, internationaliste, libertaire, il a consacré toute son activité de géographe confirmé, son activité politico-anarchiste durant la Commune, les emprisonnements, l’exil à démontrer la prépondérance de l’initiative personnelle et de la communauté humaine indispensable au bonheur de tous.

Vers la fin de sa vie, montrant que la religion soumise aux conditions sociales légitime les privilèges des maîtres par des interdits d’origine divine, Élisée Reclus, rappelle que c’est la Commune qui a imposé la République et, que l’Église et l’État se sont séparés de fait pour fonder la laïcité contemporaine.

Élisée Reclus meurt le 4 juillet 1905 à Thourout (Belgique) laissant derrière lui de nombreux ouvrages géographiques et politiques.

Biographie d’Hélène Sarrazin