Paul BERT (1833-1886) : DU PRINCIPE DE LAÏCITE APPLIQUE A L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE OBLIGATOIRE


Du principe de laïcité appliqué

à l’enseignement primaire obligatoire

Paul BERT (1833-1886)

Paul Bert

Professeur de physiologie à la Sorbonne, membre de l’Académie des sciences, il a été député républicain, ministre de l’Instruction publique et des Cultes du gouvernement Gambetta de novembre 1881 à janvier 1882, et résident général au Tonkin et en Annam.

Les actions politiques de Paul Bert portent essentiellement sur trois sujets : l’Instruction publique, son domaine de prédilection, les cultes et les colonies.

Il a été avec Jules Ferry le père fondateur de l’école gratuite, laïque et obligatoire. Mais le savant est mieux connu de nos contemporains que l’homme politique dont l’action dans le domaine de l’instruction a été sans doute occultée par celle de Ferry. Il existe ainsi une certaine ’rivalité’ entre Ferry et Bert. Il a été membre de plusieurs sociétés de libres penseurs dont la plupart sont créées au début des années 1880 comme l’Union de propagande anticléricale qui regroupe des athées matérialistes tels que Maria Deraismes ou Victor Schoelcher.

Les funérailles nationales civiles de Paul Bert provoqueront un scandale chez les cléricaux, comme celles d’Edgar Quinet, de Gambetta ou de Victor Hugo. Paul Bert est un libre penseur parce qu’il est, selon la formule d’Albert Bayet, un « partisan du libre examen de tout ». C’est donc essentiellement à la lutte contre le cléricalisme et à l’instauration de la l’école laïque que Paul Bert a consacré ses actions politiques.

C’est pourquoi, messieurs, l’article 1er du projet de loi que nous vous soumettons aujourd’hui est ainsi conçu :

« l’instruction religieuse ne sera plus donnée dans les écoles primaires publiques des divers ordres, elle sera facultative dans les écoles privées.

« Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, telle instruction religieuse que bon leur semblera. » Très bien ! très bien ! à gauche. Cet article 1er est suivi d’un second article qui n’en est en quelque sorte qu’une déduction, qu’un corollaire dans l’ordre administratif.

« Art.2. – Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi des 15 et 27 mars 1850, en ce qu’elles donnent aux ministres des cultes un droit d’inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privées et dans les salles d’asile. » (Nouvelle approbation à gauche.)

Messieurs, nous avons fait précéder de cette définition de l’école notre loi sur l’obligation, parce que nous avons jugé que cela était indispensable, surtout en proclamant l’obligation. Alors que nous édictons une loi qui peut frapper de peines assez sévères le père de famille, s’il n’envoie pas son enfant à l’école ; en présence de cette situation que, dans l’immense majorité des cas, c’est l’école publique qui devra s’ouvrir à l’enfant, il nous a paru indispensable d’affirmer au père de famille que rien ne sera enseigné dans cette école qui puisse porter atteinte à la liberté de conscience de son enfant et à la sienne propre. (Vives marques d’approbation à gauche) Nous avons voulu commencer par lui affirmer que son enfant ne recevra pas à l’école une instruction contraire à ses sentiments, en telle sorte que, rentré au foyer familial, il devienne une source de discussion et une occasion de scandales. (Interruptions à droite, très bien ! Très bien ! à gauche )

M. Villiers : Le mot « scandale » est fort.

M. le rapporteur : Cela dépend de la manière dont sera donnée l’instruction religieuse. Comment pourrait-on condamner un père de famille qui vous dirait : Je comprends l’importance de l’obligation qui m’est imposée ; j’accepte et j’approuve votre loi qui d’une obligation morale me fait une obligation légale. Mais comme je ne puis instruire moi-même mon enfant ou le faire instruire par un précepteur, je refuse de l’envoyer à l’école publique où il recevra un enseignement religieux que je repousse. Je sais que j’agis contre son intérêt ; je sais qu’il est par là frappé d’infériorité sociale ; je sais que son avenir est en péril ; mais il y a quelque chose que je prise plus haut que son intérêt matériel, plus haut que sa situation sociale, plus haut même que la science acquise, c’est l’intégrité conservée de la conscience. Je ne veux pas, moi protestant, envoyer mon enfant à l’école catholique, la seule qui existe dans ma commune, je ne le veux pas, parce que là on lui donnera l’enseignement catholique ; je ne le veux pas non plus, moi juif, parce qu’on lui donnera un enseignement chrétien ; enfin je ne le veux pas, moi classé comme catholique, qui n’ai eu cependant de rapports avec la religion catholique qu’au premier jour de ma naissance, alors qu’on m’a porté sur les fonts baptismaux, je ne veux pas qu’on donne à mon enfant l’enseignement catholique.

Discours en qualité de rapporteur du projet de loi
Chambre des députés 4 décembre 1880.