Toute licence en art ! : Montrez ces œuvres que je ne saurais voir


Silence rouge et bleu de Zoulikha Bouadella

Lu dans La Raison de février 2024 et vu dans Beaux Arts Magazine et ARTE  :

Le 26 octobre dernier un musée tout à fait original a été ouvert dans la belle ville de Barcelone : « Le musée de l’Art interdit » (en Catalan : Museu de l’art prohibit).

200 œuvres d’art ayant pour point commun d’avoir été censurées au nom de la religion, de la morale ou pour des raisons politiques. Ces œuvres ont été rassemblées par un journaliste et homme d’affaires espagnol Taixo Benet qui l’a entièrement financé de sa poche.

C’est en 2018 que tout commence. T. Benet achète une œuvre d’art intitulée en français : « Prisonniers politiques dans l’Espagne contemporaine » qui avait été retirée d’une foire d’art. Quelques temps plus tard, il achète une autre œuvre d’un artiste algéro-française, Zoulika Bouabdellah : « Installation de stilettos (chaussure à talon très aiguille) sur des tapis de prière de mosquée », intitulée Silence rouge et bleu. Cette œuvre avait été retirée d’une exposition à Clichy (France) à la suite de plaintes d’ associations musulmanes. C’est à partir de là qu’il commence sa collection : « J’aimerais que ce musée devienne un centre de réflexion sur la liberté d’expression et qu’il contribue à dessiner un atlas de la censure » a-t-il déclaré au journal Le Monde.

S’il ne traite pas du thème à travers l’ensemble de l’histoire de l’art (presque toutes les œuvres présentées datent des XXe et XXIe siècles), ce musée interroge justement la persistance, et même la résurgence aujourd’hui, des problèmes de censure et d’autocensure.

A l’entrée du musée, on est accueilli par un mannequin de carton-pâte intitulé « spectateur des spectateurs » qui représente l’agent censeur de la police politique franquiste, ce qui donne le ton général. Un peu plus loin on peut voir un portrait en lego de Filippo Strozz (fils d’une des plus puissantes familles de Florence pendant la Renaissance) réalisé par un dissident chinois malgré le refus de la compagnie danoise de le fournir en petites briques pour ses œuvres politiques. Dans une autre salle, un christ en croix d’un artiste finlandais, mais le Christ n’est autre que Ronald McDonald, et porte le titre de McJesus. Cette œuvre avait été attaquée aux bombes fumigènes par des opposants chrétiens au musée d’Haïfa en Israël. Des dessins érotiques de Picasso côtoient des scènes de tortures et de misère des « Caprichos » de Goya.

Bien évidemment, le visiteur trouvera également les pièces iconiques, comme le sulfureux Piss Christ d’Andres Serrano (1987), représentant un crucifix plongé dans de l’urine, qui continue d’enflammer le débat sur le blasphème, ainsi que des photographies de Robert Mapplethorpe, célèbre pour ses nus masculins homoérotiques, pour certains sadomasochistes, des années 1970–1980, dont l’exposition provoque encore systématiquement des polémiques.

Pour les amateurs, on peut aussi contempler un portrait de Donald Trump doté d’un minuscule pénis, dont l’auteur Ilima Gore à été menacé de procès, interdit d’exposition et finalement frappé au visage. Des dessins sortis des prisons de Guantánamo qui avaient fait l’objet d’une exposition en 2017, laquelle avait entraîné le gouvernement américain à décréter qu’aucune œuvre ne sortirait intacte désormais du camp d’internement.

Une autre œuvre, enfin, mérite d’être mentionnée. Elle a pour auteur un artiste espagnol Abel Azona. C’est une photographie dans laquelle l’artiste pose nu assis et de dos. Derrière lui le mot « PEDERASTIA » composé à l’aide de 242 hosties consacrées… qu’il avait récupéré en communiant au cours de 242 messes ! Plusieurs fois déboutés, le groupe d’avocats catholiques qui avaient porté plainte contre l’artiste et la ville de Pampelune (une salle municipale avait servi de lieu d’exposition) a cru bon de porter l’affaire jusqu’à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Las !, ils viennent de se faire une nouvelle fois débouter en novembre dernier.

Dans son arrêté la juridiction espagnole de dernière instance, l’Audencia Provincial avait conclu : « Qu’il n’avait pas été apporté de preuves suffisantes que l’intention de l’artiste eût été d’offenser et qu’il ressortait clairement des déclarations faites par ce dernier d’attirer l’attention sur les scandales de pédophilie au sein de l’Église catholique. »

Le musée propose aussi une réflexion sur de nouvelles formes de censure comme celles qui frappent les œuvres de Chuck Close mis en cause par le mouvement MeToo.