Tribune libre : L’Onu pour arrêter la guerre ? A vous de juger


Christian Delage et Henry Halphen

UNE ORGANISATION DES NATIONS
PRÉTENDUMENT UNIES

Après la « der des ders » en 1919 avait été constituée la Société des nations (SDN) pour assurer la paix ; en 1945, a été constituée par les « vainqueurs » (Etats-Unis, Royaume-Uni, URSS, France, Chine) une organisation qui, cette fois, devait maintenir la paix éternelle. Les peuples n’en pouvaient plus des mensonges des va-t-en-guerre.

En 1919, c’était un des points du traité de Versailles, particulièrement demandé par le président de Etats-Unis, Wilson. Mais il fut battu aux élections et le traité de Versailles ne fut pas ratifié par les Etats-Unis. La Société des nations fut un lieu de rencontre à Genève et de bonnes manières entre des gouvernements européens qui cherchaient à défendre bec et ongles leurs intérêts, et en particulier la domination coloniale.

Tandis que Wilson se présentait dans sa tournée européenne comme le champion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ses troupes occupaient Haïti, massacrait les paysans et aggravaient considérablement le pillage du pays par les firmes américaines qui en évinçaient les banques françaises. Aux Etats-Unis mêmes, une vague de lynchages et de pogroms contre les Noirs atteignait un sommet. Au cours de l’été sanglant de 1919, des centaines de Noirs, hommes, femmes et enfants, furent brûlés vifs, lynchés, traînés dans les rues, tués par balle, battus à morts par des foules de Blancs, leurs maisons incendiées pendant que la police observait de loin et que les jurys de Blancs condamnaient des Noirs innocents.

Lénine a qualifié la SDN de « caverne de brigands », car, sous des discours pacifistes hypocrites,se dissimulaient les répressions féroces des révoltes dans les empires coloniaux, le futur conflit en Europe sur le partage du marché mondial et la guerre à outrance pour détruire le premier gouvernement des ouvriers né de la révolution d’octobre 1917. La marche à la Seconde Guerre mondiale fut le glas de la SDN.

HÉGÉMONIE AMÉRICAINE

Devant le lamentable échec de cette Société des nations, l’Organisation des nations unies (Onu) fut conçue un peu différemment. Les Etats-Unis bénéficiaient d’une hégémonie sans partage. Les accords de Yalta et de Postdam (Staline, Roosevelt, Churchill) avaient défini les zones d’influence des grandes puissances. Les empires coloniaux de la France et de l’Angleterre sont maintenus, sous la surveillance des Etats-Unis. Une Assemblée générale de l’Onu se réunit à New York et donne des avis (52 pays au départ, 193 aujourd’hui). Une charte universelle des droits de l’homme est adoptée. Le directoire qui décide est composé des cinq « grands », les membres du Conseil de sécurité, les « vainqueurs ». Chacun des cinq a un droit de veto pour s’opposer à une décision. En pratique, ce mécanisme doit donner lieu à une recherche de consensus, mais il sera tout de suite balayé. Dès 1949, la révolution chinoise bouleverse les prévisions, l’impérialisme américain perd le contrôle du gouvernement de Pékin. Il faudra attendre cependant le 26 octobre 1971 pour que le gouvernement américain accepte l’entrée de la Chine populaire à l’Onu. De même, les guerres d’indépendance dans les empires britannique, français, hollandais, belge, portugais ont bousculé ce dispositif.

Les Etats-Unis utilisent l’Onu comme caution si possible lors de leurs interventions et s’en passent quand le Conseil de sécurité s’y oppose. Comme lors de la guerre en Irak en 2003.

UN ENSEMBLE DE MÉCANISMES
ET DE RÈGLES

La présentation du rôle de l’Onu est souvent détachée des autres mécanismes qui l’accompagne pour mieux dissimuler sa nature. Les États qui entrent à l’Onu sont également organisés dans le FMI et la Banque mondiale (BM). Le complément économique (FMI, BM) a son importance. Conscient que la grande crise de 1929 avait provoqué un chaos en Europe d’où était sorti le fascisme, les gouvernements américains ont promis d’éviter une répétition de cette situation. Le FMI est une banque qui reçoit des cotisations des Etats membres, en fonction de leur importance économique, et chacun a un droit de vote proportionnel. Mais les Etats-Unis et eux seul ont un droit de veto. Aucune décision ne peut donc passer sans leur accord. Les accords de Bretton Woods en 1944 avaient instauré le dollar comme monnaie mondiale, et sa gestion relève pour l’intérieur de la banque centrale (Federal Reserve Board) et pour l’extérieur du FMI. Le FMI prête à un pays en difficulté, mais si la première tranche équivalente à la cotisation est sans condition, ensuite les tranches de prêt se font à des conditions plus en plus dures. Quand un pays veut emprunter en dollars, les banques exigent qu’il ait un accord avec le FMI. C’est pourquoi les plans d’ajustement du FMI sont des listes de mesures d’austérité et de privatisation très contraignantes qui ont maintenu les rapports coloniaux ou semi-coloniaux, l’étranglement économique pouvant remplacer ou compléter l’intervention militaire. La Banque mondiale a le même caractère, mais prête à plus long terme pour des projets d’investissement ; en pratique, un projet sera financé par les banques et les multinationales si la BM assure une partie des coûts.

La domination impérialiste n’est plus l’administration coloniale directe abandonnée à la suite des guerres d’indépendance, mais un ensemble de contraintes financières et économiques, appuyé sur la menace ou l’intervention militaire à certains moments.

Les alliances militaires Otan, Otase (Asie du Sud-Est), Aukus (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis), sont dirigées par les généraux américains et présentées comme défensives.

Ainsi une façade égalitaire – chaque Etat a une voix dans l’Assemblée – cache une domination sans partage de l’impérialisme américain.

Des traités sur les échanges mondiaux comme le Gatt puis l’OMS ont instauré un libre-échange qui doit faciliter les investissements et les profits des firmes multinationales, principalement américaines.

Des zones de libre-échange particulières comme l’UE, l’Alena, pouvant compléter le dispositif, à condition de respecter les exigences américaines contenues dans les traités de libre commerce.

L’Onu a mis en place au fil du temps des agences de coopération, OMS (santé), Unesco (culture), etc., mais leur financement est dépendant du bon vouloir des Etats-Unis, et qui paie décide. Tout le personnel de l’Onu est l’objet d’une enquête approfondie des services américains, et gare à celui qui dans sa jeunesse étudiante a naguère fait un sit-in contre la guerre du Vietnam.

RÉFORME ET DIFFICULTÉS
DE L’ORDRE MONDIAL

A plusieurs reprises, depuis la chute du mur de Berlin, il a été question d’une réforme de l’Onu et du FMI. En effet, qu’une petite puissance comme la France pèse plus que l’Inde, le Brésil, le Japon ou l’Allemagne semble un tantinet curieux, sauf pour le coq gaulois. De même, le FMI apparaît trop comme le bras armé des banquiers américains. Mais toutes les tentatives se sont heurtées au refus américain, qui, au contraire, a cherché dans un premier temps, après la chute de l’URSS, à diriger le monde plus directement.

La guerre en Irak a été un exemple particulièrement clair des méthodes de l’impérialisme. Le gouvernement américain a d’abord fait voter à l’Onu la résolution 1441 en novembre 2002 : « Le Conseil de sécurité décide que l’Irak a été et demeure en violation patente de ses obligations en vertu des résolutions pertinentes. ». Puis il a déchaîné une campagne médiatique mondiale sur les prétendues preuves que l’Irak avait des armes de destruction massive.

Dans un documentaire sur France 5, « Irak, destruction d’une nation », on voit le témoignage de Bruno Le Maire, à l’époque membre du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin. Il indique que les Américains avait envoyé un document pour prouver la possession d’armes de destruction massive par l’Irak et que le ministère des Affaires étrangères français avait établi qu’il s’agissait d’un faux (1). On voit que si Chirac n’a pas participé à la guerre, le gouvernement français n’a pas révélé cette falsification grossière qui aurait pu peser lourd.

Le général Colin Powell chargé de défendre à l’Onu la thèse américaine a reconnu le mensonge.

En mars 2013, dans un entretien à L’Obs (2), Colin Powell a commenté les faits : « Depuis que j’ai découvert qu’un grand nombre d’informations que l’on m’avait fournies étaient inexactes, je ne cesse de me demander : qu’aurais-je dû faire pour éviter cela ? ». Cent mille morts civils en quelques semaines, des années d’horreurs et de souffrances, mais la France n’a pas apporté les preuves qu’elle détenait, tout simplement parce que la France fait partie de l’Otan et se trouvait ligotée par ce traité. Pour sa part la IVe Internationale a appuyé la mobilisation contre la guerre et a constitué en janvier 2003 un comité international pour combattre la guerre, avec ou sans l’accord de l’Onu.

La situation de l’Onu est désormais tributaire des aléas de la politique américaine qui maintient une façade de « coopération », alors que ses décisions sont très marquées par la brutalité de l’économie de guerre et les soubresauts de sa crise interne. Il est certain que cette gouvernance mondiale via l’Onu est en crise, et le vote sur la guerre en Ukraine l’a montré, puisque la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde, au total 32 pays, se sont abstenus, refusant de s’aligner complètement sur le gouvernement américain.

Bien entendu, l’Onu fait des déclarations sur les droits de l’homme de la main gauche, et le FMI fait du business de la main droite, mais l’Otan, le bras armé mène le bal…

Christian Delage et Henry Halphen

IO n°749 – p. 14

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(1) Bruno Le Maire y déclare : « Le président américain a menti, le vice-président, Dick Cheney, a menti, la CIA a apporté des preuves qui n’en étaient pas. Et au bout du compte, chacun apporte sa pierre à la construction d’un édifice qui est un gigantesque mensonge. Et ce mensonge devient en janvier 2003 la vérité de la première puissance de la planète et de notre premier allié : les Etats-Unis. »

(2) « Comment la CIA m’a trompé », entretien exclusif avec Colin Powell, par Vincent Jauvert, L’Obs, 1er mars 2013.