La Semaine sanglante, 21-28 mai 1871


Dessin de Tardi

Encore occultée dans les manuels d’histoire, la Commune de Paris de 1871 fut un événement majeur de l’histoire de l’émancipation. L’Ordre clérical et bourgeois la réprima férocement. La Semaine sanglante est le nom des derniers jours de la Commune de Paris, de la répression du premier gouvernement ouvrier et de toutes celles et ceux qui l’ont défendue contre les troupes du gouvernement versaillais. Cette appellation en dit long sur la violence des Versaillais et sur le massacre subi par les communard.e.s. Sa caractérisation tout comme le nombre de mort.e.s sont fréquemment remis.e.s en cause. Jean-Baptiste Clément, caché dans Paris, écrit une chanson « à chaud » La Semaine sanglante.

 

Louise Michel évoque la dernière journée :

« Versailles étend sur Paris un immense linceul rouge de sang ; un seul angle n’est pas encore rabattu sur le cadavre.

Les mitrailleuses moulent dans les casernes. On tue comme à la chasse ; c’est une boucherie humaine : ceux qui, mal tués, restent debout ou courent contre les murs, sont abattus à loisir.

(…) La Commune n’a plus de munitions, elle ira jusqu’à la dernière cartouche.

(…) La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus ».

Comptes et décomptes

En 1898, Louise Michel évoque la première bataille des chiffres :

« Alors on se souvient des otages, des prêtres ; trente-quatre agents de Versailles et de l’Empire sont fusillés. Il y a dans l’autre poids de la balance des montagnes de cadavres ».

Durant la Semaine sanglante, 100 000 soldats commandés par Versailles investissent Paris et seuls 877 (toutes les sources sont unanimes) décèdent dans les combats.

P.O. Lissagaray estime le nombre de victimes à peu près à 20 000 morts, Louise Michel à 30 000 quand l’anticommunard Maxime Du Camp n’en dénombre que 6 667…

Dans son livre La Guerre contre Paris, paru en 1981, l’historien anglais Robert Tombs, spécialiste de l’armée versaillaise, a revu les décomptes. Si son appréciation de la répression est assez intéressante (il documente le sentiment de la troupe, des soldats fort peu enclins à la répression qui n’aurait été violente et massive qu’en raison des ordres des généraux versaillais), son estimation du nombre de morts est beaucoup plus contestable : entre 10 ou 15 000 morts, qu’il a encore révisé dans les années 2 000, pour ne pas dépasser 6500 !

Michèle Audin, mathématicienne et historienne de la Commune, a fait récemment un énorme travail pour recompter mais aussi retrouver des sources pour s’approcher au plus près du nombre de morts de la Commune. Grâce à une recherche rigoureuse, elle arrive à des chiffres assez proches de ceux de Lissagaray, soit 20 000 morts : 10 000 inhumés dans les cimetières parisiens, à peu près 5 000 dans les cimetières environnants, et environ 5 000 disparus. En effet, la manière dont les communard.e.s ont été tué.e.s fait qu’on ne pourra jamais arriver à les décompter : noyé.e.s dans la Seine ou dans le canal Saint-Martin, enterré.e.s à la va-vite sur le chemin des prisons de Versailles, brûlé.e.s dans les maisons ou laissé.e.s à l’état de « débris humains » …

Ce massacre empêchant tout décompte des morts, toute histoire documentée, a été décrit par un contemporain engagé, Élisée Reclus, dans La Commune de Paris au jour le jour, à la date du 27 mai 1871 :

« Les gens du quartier commencent à sortir, ils vont prendre connaissance de ce qui se passe au dehors. Ils reviennent avec des récits épouvantables. La berge du fleuve est parsemée de cadavres, les rues aussi. Dans certaines cours, des corps morts sont amoncelés. On emporte des carcasses par charretées pour les enfouir dans des fosses profondes qu’on recouvre de chaux vive ; ailleurs on les asperge de pétrole puis on les brûle ; on a vu un convoi de dix à douze omnibus remplis de débris humains.

Un ami qui nous apporte des renseignements montre les semelles de ses bottines imprégnées de sang…

Des deux côtés de la Seine un filet rouge coule le long des berges. »

Sur le caractère volontairement exemplaire de la répression, aucun doute… le criminel qui l’a commandité, Adolphe Tiers, l’ayant télégraphié aux préfets le 25 mai 1871 :

« Le sol de Paris est jonché de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon, il faut l’espérer, aux insurgés qui osaient se déclarer partisans de la Commune ».

Si la Commune de Paris a été massacrée, occultée, jamais enseignée dans les livres d’histoire, si les communard.e.s ont été assassiné.e.s et déporté.e.s, l’idée d’un gouvernement ouvrier, d’un gouvernement par les ouvrier.e.s, pour les ouvrier.e.s n’est pas morte et est bien vivante !

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Sources :

– Actes du Colloque :150 ans 1871 – 2021 – 150e Anniversaire de la Commune de Paris, IRELP, Paris, 2021, 239 p.

– P.O. Lissagary, Histoire de la Commune de 1871, Petite collection Maspero, Paris, 1976, 526 p.

– Michèle Audin, La semaine Sanglante. 1871. Légendes et comptes, Ed. Libertalia, 2021, 264 p.

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