Victor Hugo : L’incident belge


Maison où habitait V. Hugo

« La Belgique est alors gouvernée par une majorité cléricale en parfait accord avec le gouvernement monarchiste de Versailles. Le 25 mai (1871), alors que les versaillais, sur ordre du « nabot monstrueux » (1), fusillent à tour de bras dans Paris, le ministre de affaires étrangères, d’Anethan déclare qu’il mettra tout en œuvre pour interdire l’accès du territoire belge aux communards vaincus à qui il n’est pas question d’accorder le statut de réfugiés politiques. Le poète répliquera à l’encontre de ces bons chrétiens que, même l’Église au Moyen Âge, accordait le droit d’asile à des assassins.

Le 27 mai, Victor Hugo fait parvenir au journal belge l’Indépendant la lettre suivante, qui signifie pour lui un risque certain et le début d’un long combat pour l’amnistie. Alors que dans les trois poèmes écrits durant le séjour belge Pas de représailles, Un Cri et Les deux Trophées, il cherche à établir une égale responsabilité des deux camps dans les violences de la guerre civile, là le libre combattant des droits de l’homme prend le dessus  :

« Qu’un vaincu de Paris, qu’un homme de la réunion dite Commune, que Paris a fort peu élue et que, pour ma part, je n’ai jamais approuvée, qu’un de ces hommes, fût-il mon ennemi personnel, surtout s’il est mon ennemi personnel, frappe à ma porte, j’ouvre. Il est dans ma maison ; il est inviolable…

 Dans tous les cas, un fugitif de la Commune chez moi, ce sera un vaincu chez un proscrit ; le vaincu d’aujourd’hui chez le proscrit d’hier… … Si un homme est hors la loi, qu’il entre dans ma maison. Je défie qui que ce soit de l’en arracher. Je parle ici des hommes politiques. Si l’on vient chez moi prendre un fugitif de la Commune, on me prendra. Si on le livre, je le suivrai. Je partagerai sa sellette. Et, pour la défense du droit, on verra, à côté de l’homme de la Commune, qui est le vaincu de l’Assemblée de Versailles, l’homme de la République, qui a été le proscrit de Bonaparte. »

Dans la nuit du 27 au 28 mai vers minuit le poète travaillait. Dans sa maison (Place des Barricades à Bruxelles) se trouvaient les deux enfants, âgés l’un de deux ans et demi, l’autre de vingt mois, madame veuve Charles Hugo et la servante. On frappe bruyamment à la porte. Hugo s’y déplace et demande l’identité du visiteur. On lui répond : Dombrowski ! Selon la presse le général polonais qui avait dirigé les fédérés contre Versailles avait été fusillé. Hugo crut un moment que ce dernier était encore vivant et qu’il demandait asile. La maison fut alors caillassée aux cris de « A mort Victor Hugo ! A bas Jean Valjean ! » Assaut qui n’eut rien de symbolique, puisqu’il dura plus de deux heures : la dernière charge de cette vingtaine d’individus chercha à arracher les grilles en fer des fenêtres. Deux hommes en blouse avaient été interceptés par une ronde de police à proximité, alors que rue des Barricades retentissaient le cri « enfonçons la porte ! » Ce n’est qu’aux premières lueurs du jour que deux jeunes ouvriers qui partaient embaucher donnèrent l’alerte. Dans la journée la police ne marqua aucune volonté de faire une enquête sérieuse. Par contre le 30 mai le roi Léopold enjoignait « le sieur Victor Hugo » de quitter immédiatement le royaume, avec défense d’y rentrer à l’avenir.

Le gouvernement belge ajouta une tentative de salir son fils François Victor en montant un scénario de tableaux soi-disant volés au Louvre par la Commune et François Victor. C’était en fait de vieilles toiles achetées en Flandre et en Hollande. Le juge nommé sur cette affaire abandonna l’instruction au bout de quelques semaines faute de preuves.

Victor Hugo subira un revers aux élections du 2 juillet 1871 : l’état de siège, impliquant l’interdiction des réunions et de la liberté de la presse, les arrestations qui seront suivies de déportations, les radiations arbitraires lui feront perdre environ 140 000 voix. Il ne totalisera que 57 854 voix. Alors qu’au scrutin du 8 février 1871, précédant la Commune, il fut élu avec 214 169 voix. »

Source : Hugo et la Commune

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1. Il s’agit de Thiers : « Thiers, ce nabot monstrueux, a tenu sous le charme la bourgeoisie française pendant plus d’un demi-siècle, parce qu’il est l’expression intellectuelle la plus achevée de sa propre corruption de classe. » Karl Marx, La Guerre Civile en France (mai 1871) – chapitre 1