1914-1918 : La propagande dans la guerre et pour la guerre


Du fameux « engagez-vous » de l’Oncle Sam aux affiches pour les emprunts de guerre, les propagandistes de tous les pays au sommet de la créativité pour vendre la guerre à leurs peuples. Un article de Françoise Stora.

Qu’est-ce que la propagande ? Le mot vient du latin propaganda qui signifie littéralement ce qui doit être propagé. C’est donc une action exercée par un groupe sur l’opinion publique pour faire accepter certaines idées notamment dans le domaine politique, social ou religieux. C’est à partir de la guerre de 1914-1918 que tous les gouvernements engagés dans les guerres utilisèrent la propagande pour conditionner et influencer le comportement de leur population, afin que celle-ci puisse s’investir au mieux dans le conflit.

Quels sont les buts de la propagande pendant la guerre de 1914-1918 ? Lord Arthur Ponsonby, socialiste et pacifiste les résume en 1928 dans son livre « Falsehood in war time » : Il faut faire croire que le camp des auteurs de la propagande ne veut pas la guerre, c’est l‘adversaire le responsable de la guerre et c’est lui qui est moralement condamnable ; pour leur part, la guerre a de nobles buts, d’ailleurs Dieu est avec ce camp et le monde de l’art et de la culture approuve leur combat ; l’ennemi qui commet des atrocités délibérées subit bien plus de pertes. Enfin ceux qui doutent des points précédents sont soit des traîtres, soit des victimes des mensonges adverses, car l‘ennemi fait de la propagande alors que leur camp informe.

Les agences de Presse et la Censure

Quels moyens ont été utilisés ? En 1914, l’École publique laïque avait déjà permis l’alphabétisation de la majeure partie des citoyens en France, mais elle avait également progressé dans les autres pays belligérants. La presse et le courrier jouaient donc un rôle important dans l’information des populations. C’est pourquoi très rapidement, dans les principaux pays en guerre, dans le but d’influencer l’opinion publique, on assiste d’une part à un contrôle des agences de Presse par le pouvoir politique, avec journalistes accrédités et correspondants de guerre seuls autorisés à visiter les champs de bataille, et d’autre part à la surveillance du courrier des soldats.

– En France, le service de la censure est installé dès le début des conflits, c’est à dire le 30 juillet 1914, soit 3 jours avant la mobilisation générale. Le ministre de la guerre fait passer ses directives dès le 3 août et indique qu’il est interdit de faire passer des nouvelles de la guerre et du front sans que celles-ci n’aient d’abord été communiquées ou visées par le « bureau de presse » de son ministère. D’autre part, une loi du 27 juillet 1915 instaure une surveillance constante et générale sur le courrier.

– En Allemagne, en octobre 1914, est créé « le bureau central de censure » qui intervient véritablement à partir de février 1915. L’effort massif de la propagande intérieure bute sur plusieurs difficultés : la diffusion de journaux neutres, le très grand nombre de titres au sein des États qui limite l’uniformisation par la censure, et l’impossibilité de censurer les débats parlementaires. C’est seulement lorsque Hindenburg et Luddendorff arrivent à la tête du Grand Quartier Général, en Août 1916, que la censure devient plus efficace.

– Au Royaume-Uni, « le bureau de propagande » est placé en septembre 1914 sous l’autorité de Charles Masterman. Afin de construire une propagande efficace, il recrute des auteurs (comme John Buchan, H. G. Puits et Arthur Conan Doyle) et des peintres (par exemple : Francis Dodd, Paul Nash) pour soutenir l’effort de guerre. Outre la propagande intérieure, leur objectif est d’encourager les Etats-Unis à entrer en guerre contre l’Allemagne.

– En Italie, fin 1916, est créé le ministère de la propagande qui ne sera pas très efficace.

– Aux Etats Unis, c’est seulement après que le Congrès ait déclaré la guerre à l’Allemagne, le 6 avril 1917, que le Président Wilson met sur pied un comité, appelé « Committee on Public Information ››, dont le but est de maintenir le moral et l’unité du pays. Il a à sa tête un journaliste, George Creel, qui engage Lippman, essayiste, et Bernays, conseiller en relations publiques, pour faire basculer l’opinion américaine, traditionnellement isolationniste, vers l’interventionnisme. La campagne de propagande de Creel, Lippman et Bernays, est si intense qu’en six mois, elle engendre une hystérie anti-allemande qui impressionne l’industrie américaine qui, la guerre terminée, utilisera ces méthodes pour son propre compte.

De nouveaux supports de propagande sont utilisés lors de la guerre de 1914-1918

– Les premiers films documentaires datent du début du XXe siècle, ceux qui sont tournés lors des batailles de Verdun et de la Somme. Ce sont de véritables batailles par l’image, films de propagande avec un maximum de mensonges sur les pertes ennemies, que ce soit de la part des services d’information allemands ou de ceux des pays de l’Entente. Le 21 août 1916, sort « La bataille de la Somme » ; ce film est vu par 20 millions d’Anglais jusqu’en octobre 1916. C’est un film de propagande mensonger du début à la fin.

– Pendant la guerre de 1914-1918, l’affiche, média artistique de l’époque, devient un objet de propagande. Les images agissent en prise directe avec l’actualité. La force de l’image s’ajoute à celle du slogan pour convaincre un large public. L’affiche est le support de la propagande officielle le plus efficace. Elle a deux principaux objectifs. Le premier est de solliciter l’effort de tous les civils en matière de mobilisation financière et humaine, en particulier pour financer l’effort de guerre (en Allemagne, le premier grand emprunt date de 1914, en France de 1915). Le second est de soutenir un moral éprouvé par la guerre, dans le dessein de maintenir la cohésion nationale, en faisant appel au sentiment patriotique. Si le devoir du soldat est de se battre, celui des civils est de soutenir.

Souscrivez à l’emprunt de guerre

Chaque pays engagé dans la guerre utilisera ce support pour mobiliser sa population, pour l’inciter à s’engager, à marquer sa solidarité. « Participez à la guerre ! » Tel est le message envoyé. Mais qui a envie d’aller à la guerre ? Il faut que ceux qui ont intérêt à la guerre la vende à ceux que l’on oblige à la faire. Pour cela l’horreur de l’ennemi est le plus sûr moyen. Il faut agiter l’image de l’ennemi commun en même temps que l’on glorifie l’image de soi, et bien sûr faire miroiter le but ultime : la paix… qui semble s’éloigner à mesure que le conflit s’enlise dans les tranchées. La bataille de l’opinion est aussi importante que la bataille sur le terrain.

La propagande par l’affiche accompagne les campagnes pour les emprunts de guerre. Et tous les pays sans exception émettent des emprunts successifs auprès de leurs populations. Même si les buts sont communs à tous (soutien financier, matériel et moral), les affiches sont très différentes selon les pays, et plus ou moins convaincantes.

En ce qui concerne les pays de la « Triple Alliance « , en fait l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, si les unes comme les autres ne sont pas dans la compassion, en fait elles sont à l’opposé sur le plan de l’expression graphique. En Autriche, la majorité des affiches semblent évoquer des pièces de théâtre sans aucun lien avec la vie réelle des Autrichiens. En Allemagne, on est saisi par la noirceur des affiches. Elles n’exaltent que l’esprit de sacrifice : pas de compassion, pas d’explications motivantes. On est entre militaires et on oublie que l’on s’adresse aux civils, dont on sollicite le soutien.

L’Italie, qui faisait partie de la Triple Alliance, adopte la neutralité lors de la déclaration de la guerre pour rejoindre, en 1915, « la Triple Entente ». Elle se limite à des opérations contre l’Autriche-Hongrie. La bataille des images poursuit donc ici un double objectif : affirmer la culture italienne face à l’Autriche et soutenir l’effort de guerre. En Russie, les affiches montrent un pays entre monde ancien et monde nouveau. Mais c’est le désir de paix qui les relie. De nombreuses affiches font appel à l’émotion, la compassion, la défense des femmes et des enfants, d’autres annoncent déjà la Russie soviétique sur le thème de la liberté avec les drapeaux rouges en fond.

En France, les images sont variées. L’Union sacrée s’impose entre tous les partis politiques pour que chaque Français, quelle que soit son idéologie politique, contribue à l’effort de guerre. On retrouve donc dans les affiches toutes les « valeurs françaises traditionnelles ». Il s’agit de défendre la paix nationale, coloniale, que nous enseignent les manuels scolaires.

L’Angleterre, le Canada, l’Australie et les Etats-Unis ont en commun de ne pas être des pays occupés et de ne pas avoir de conscription. En Angleterre, l’enjeu de la propagande, c’est l’effort de guerre : l’engagement dans l’armée, et l’engagement économique dans une production intensive de matériel militaire. Les affiches martèlent le message « Engagez-vous ! ». C’est le chantage moraliste et l’actualité avant tout.

L’Australie et le Canada, membres de l’Empire britannique, s’engagent avec enthousiasme dans la guerre, pour des raisons différentes d’ailleurs : les canadiens espérant gagner ainsi un Canada indépendant et les Australiens s’inquiétant de l’activité croissante de la puissance navale allemande dans l’océan Pacifique. Les messages des affiches de propagande appellent au soutien économique et la guerre est l’occasion de conseils d’économie. Du point de vue esthétique, les affiches du Canada sont proches de celles des américains.

Enfin, les Etats-Unis sont les derniers à s’engager dans la guerre. Chaque affiche offre une image forte pour une idée simple. Elles nous parlent tout à la fois de l’entrée des Etats-Unis dans le conflit, de l’appel à la mobilisation – humaine et financière -, mais aussi de la figure de l’Ennemi, censé incarner le Mal, jusqu’à faire de la Première Guerre mondiale une lutte pour la « civilisation ». On voit que cela est toujours très actuel même si les nouveaux supports audio-visuels et informatiques ont décuplés la puissance de la propagande et du mensonge de guerre !

Françoise Stora

La Raison n°631 – mai 2018