Harry Belafonte (1er mars 1927-25 avril 2023)


Un oiseau rebelle que personne n’a pu apprivoiser

Si Georges Bizet, dans la célèbre chanson du premier acte de son opéra Carmen, compare l’amour à « un oiseau rebelle », nous pouvons sans crainte nous emparer de cette figure pour l’attribuer à Harry Belafonte, chanteur, acteur, producteur américain, né à Harlem et mort dans la même ville. Clin d’oeil au premier film célèbre de 1954 dans lequel il a joué, Carmen Jones d’Otto Preminger (1), adaptation de l’opéra cité plus haut, mais transposé de l’Espagne au Sud des Etats-Unis. Voulant démentir qu’un film joué par des Noirs n’avait aucune chance de succès, Otto Preminger avait confié tous les rôles exclusivement à des acteurs noirs. Ce fut un succès mondial mais, déchaîné par cette gifle donnée à la ségrégation raciale, qui en 1954, sévissait encore dans tous les Etats du Sud, le Ku Klux Klan y brûla des salles où le film était projeté.

Harry Belafonte a toujours utilisé son impact médiatique pour servir la cause des opprimés. Fils d’un cuisinier d’origine martiniquaise et d’une femme de ménage d’origine jamaïquaine, il a, peu après sa naissance, été envoyé en Jamaïque, dans la famille de sa mère.

Cela lui a permis de découvrir, très tôt, les conséquences de quatre siècles d’esclavage (espagnol puis britannique). Les travailleurs « libres » des plantations, continuaient à y subir le joug des grands propriétaires terriens blancs (2). L’artiste en a été marqué à vie, ce qui explique certainement la force de ses convictions.

Ce qui est remarquable, chez cet homme, c’est la constance de ses positions, prises sans tenir compte des conséquences qu’elles pouvaient avoir sur sa carrière ou son statut. Au contraire, plus sa notoriété a augmenté, plus les attaques contre lui sont devenues féroces, plus il a été ferme et cela jusqu’à son dernier souffle, dénonçant sans relâche : la situation des Noirs aux Etats-Unis, la politique impérialiste des gouvernements successifs qu’ils soient démocrates ou républicains. « Notre politique étrangère a causé beaucoup de dégâts sur la planète, je suis souvent en Afrique et j’y vois l’oppression de la politique américaine écrite sur les murs », déclarait-il.

Il a été un des compagnons de lutte de Martin Luther King. Il a financé et participé aux marches pour les droits du peuple noir des Etats-Unis. Il a lancé et soutenu la chanteuse sud-africaine Myriam Makeba, victime de l’apartheid.

Il s’est prononcé contre la guerre du Vietnam dans les années 60, soutenant le boxeur Muhammad Ali (Cassius Clay) dans son refus d’être enrôlé (ce qui lui coûta la perte de tous ses titres). Il a apporté son soutien à Angela Davis, militante accusée à tort de meurtre et emprisonnée pour ses liens avec les Blacks Panthers.

A maintes reprises, il s’est engagé publiquement contre l’invasion de l’Irak, déclarant que Georges Bush « ne valait pas mieux que Ben Laden ». De Colin Powell, chef d’état-major

des forces armées US au moment de la guerre, et auteur (sur ordre de Bush) du fameux mensonge justifiant l’invasion de l’Irak par l’existence d’armes chimiques dans ce pays, il a dit : « Le laquais noir autorisé à fouler le sol de la maison du maître blanc ». Cinglant, quand on sait que Colin Powell était né comme lui, mais dix ans après, dans le même quartier de New York et possédait, comme lui, des origines jamaïcaines.

En 2009, Belafonte présidait le tribunal international Bertrand-Russel pour la Palestine marquant ainsi son intérêt et son soutien à la résistance du peuple palestinien.

Enfin, bien qu’il ait soutenu la candidature du président Barack Obama, il ne manquait jamais d’exprimer sa façon de voir les choses : « Obama a échoué parce qu’il a manqué d’un certain courage moral, d’une certaine vision dont nous avons besoin. Quand il a dit “Yes we can !”, c’était peut-être habile, mais que voulait-il dire exactement ? » (3). C’est logiquement qu’en 2016, il avait soutenu la candidature de Bernie Sanders contre celle d’Hillary Clinton aux primaires démocrates.

Rendons hommage au courage politique et moral d’un homme qui n’a jamais renoncé, essayant en permanence de faire coïncider ses choix artistiques (nous n’avons pas la place d’y revenir ici) et ses idées. Qui, malgré les honneurs, les sollicitations et les énormes pressions a toujours exprimé son indignation, son refus de l’oppression et de la guerre. Par les temps qui courent, il faudra beaucoup d’hommes et de femmes de cette trempe.

Benny Malapa
I.O n° 755 Mai 2023

(1) Cinéaste allemand ayant fui le nazisme, réalisateur de grands films hollywoodiens.

(2) La Jamaïque était à cette époque une colonie britannique. Son « indépendance » est obtenue seulement en 1962.

(3) Extrait de My Song, son autobiographie parue en 2012 (non traduite en français)