L’École n’est pas vouée à soigner les “maladies des religions” de J. Leclercq et H. Abdel Gawad


Nous tenons à répondre à Myriam Gesché. Celle-ci considérait dans ces pages que les cours de religion ne pouvaient devenir des cours optionnels. Nous pensons au contraire que deux heures de cours de philosophie et de citoyenneté sont une urgence pédagogique. Une opinion de Jean LECLERCQ, professeur UCLouvain et Académie royale de Belgique et de Hicham ABDEL GAWAD, docteur en sciences des religions.

Source : Libre Belgique

L’opinion de Myriam Gesché, Présidente de l’Instance pour le cours de religion catholique nous a incités à lui répondre à quatre mains. Une opinion, pour nous, intransigeante et construite sur une vraie confusion. Pour contrer l’évolution vers deux heures de Cours de Philosophie et de Citoyenneté (CPC), elle focalise sur un effet collatéral : les cours de religion devenant optionnels “dans l’enseignement officiel”. Ce qui serait, dit-elle, anticonstitutionnel. Mais ce n’est pas vrai ! Depuis 2013 déjà, trois professeurs incontestables de Droit constitutionnel ont balisé la voie pour cette évolution actuelle, devant des Parlementaires.

Elle dit aussi que ceci revient à “considérer que les religions ne font pas partie de la culture commune” et que rendre leur enseignement optionnel serait dommageable pédagogiquement. Ce n’est pas certain ! Mais quel dommage de lier la présence des religions à l’École à la crainte du “terrorisme”. Non, les événements terroristes ne devraient pas être utilisés comme un argument en faveur du renforcement de “la dimension religieuse de l’éducation”.

Cette thèse est blessante pour ceux qui de facto voient leur conviction potentiellement regardée comme porteuse de haine et son enseignement comme un outil de “déradicalisation”. La religiosité est une réalité humaine complexe. Elle demande de la nuance et il n’est pas acceptable de dire d’emblée que “ne pas traiter cette dimension de l’identité à l’école, c’est en faire une identité intouchable qui peut être meurtrière”.

À cet égard, cette vision partiale de l’identité a une conséquence redoutable pour une École ouverte à TOUTES les identités et pas uniquement à celles qui sont dites “religieuses”. Car on peut tout simplement ne pas en avoir ! On peut aussi s’inscrire dans une tradition religieuse, mais en étant en porte-à-faux vis-à-vis de la doxa dominante. Ou, on peut être en marge d’une “orthodoxie” régnante qui si elle devait envahir l’École serait destructrice tant pour la paix scolaire que pour quiconque voudra rester libre ou hétérodoxe.

Parler « sur » les religions

Pour nous, l’École n’est pas vouée à soigner les “maladies des religions”. Car, outre que les religions demandent plus de considération, il importe que, quand l’École les prend en considération, elle le fasse au nom de ses missions fondamentales. Nous pensons ainsi qu’une École pour TOUS ne doit plus parler à “partir” des religions, mais bien plutôt “sur” elles, avec les efforts de la raison et son exigence de méthode critique et scientifique. D’où le besoin d’un cours de CPC, égalitaire et solidaire, sans les ségrégations par conviction, un cours certifié, inspecté et fortifié par la méthode de la neutralité. Ceci n’est pas “avancer à rebours par rapport au sens de l’histoire”, comme le pense la Présidente, c’est aller dans le sens de l’Histoire que vouloir deux heures de CPC !

Nous pensons donc que ce n’est ni une “approche confessionnelle”, ni une “approche de l’intérieur par des enseignants légitimes aux yeux des élèves de milieux religieux” – comme M. Gesché le demande – qui permettront d’avoir une École inclusive et pacifiée. Nous voulons une École où la légitimité pédagogique n’a surtout pas à dépendre des convictions des élèves ! D’ailleurs, cette thèse défendue est très dangereuse pour des convictions où le professeur lui-même est délégitimé par les incursions de parents d’élèves ou de groupes de pression cherchant à le déposséder de sa matière. Seule la recherche de la neutralité inhérente à une méthode pédagogique, basée sur le “fait religieux”, permettra d’avancer !

Pour avancer, il faut respecter les acquis des orientations prises et reconnaître que la demande de la Présidente d’un “dialogue interconvictionnel” à l’École n’est pas praticable. Qui sera ce maître outillé pour donner un tel enseignement, sur des traditions aux origines culturelles, rituelles et dogmatiques si différentes ? Ou alors, il ne fera que survoler, au risque de tomber dans la caricature et les simplismes. Et qu’en sera-t-il du rapport des convictions à leurs vérités fondamentales et essentielles, voire à ce qu’il y a de non négociable entre elles ? Et quelle sera la répercussion sur l’élève qui ne se retrouve pas dans la doxa hégémonique, tant finalement les croyances relèvent de l’intime ?

Bien entendu, comme la Présidente, nous pensons que “tous les domaines de la culture doivent pouvoir être traités par la raison” et même ceux de la “foi et la culture”. Mais ceci exige une méthode et un point de vue externe (parler “sur”), ce que propose justement l’approche rationnelle par le “fait religieux” qui doit avoir toute sa place dans le CPC. Et cette approche scientifique, rationnelle et critique, doit s’appuyer sur les sciences des religions qui sont hélas le parent pauvre des référentiels de compétences des cours de religion.

N’oublions pas que, pour beaucoup d’élèves, le CPC pourrait être le seul espace de libertés possible, avec un questionnement serein sur la religion, en tant qu’objet saisissable par la pensée. Oui, les deux heures de CPC sont une urgence pédagogique, avec bien entendu toutes les conséquences organisationnelles.

À cet égard, le vrai problème n’est-il pas dans le constat qui achève l’opinion : “Les cours de religion sont pour beaucoup de jeunes parmi les derniers lieux consacrés à cette recherche” ? M. Gesché ne dit-elle pas, par-là, la déshérence des Institutions religieuses et leurs manques de force en matière d’éducation spécifique des leurs ? Mais, si c’était pour cette raison de défaillance ou de désœuvrement qu’il fallait encore ajouter une mission supplémentaire à l’École, et en plus une mission religieuse !, alors ce serait un signal très préoccupant, pour un pays où les traitements des “ministres des cultes” sont “à charge de l’État”.