Bouddhisme : pourquoi les scandales et dérives sont passés sous silence en Occident ?


Source : rtbf.be du 19 septembre 2022

Soygal Rinpoché avec le Dalaï Lama

Pourquoi le bouddhisme tibétain bénéficie-t-il d’une image tellement favorable en Occident, alors qu’il est secoué par de graves scandales, viols, manipulations mentales, détournements de fonds…, que ce soit en Belgique, en France ou en Espagne ? C’est la question que pose Bouddhisme, la loi du silence. Rencontre avec son co-auteur, Wandrille Lanos.

Bouddhisme, la loi du silence, c’est à la fois, un livre publié aux Editions JC Lattès et un documentaire diffusé sur Arte, tous deux signés Elodie Emery et Wandrille Lanos. Une enquête sur des scandales à ce jour à peine dévoilés, pour comprendre comment ils ont pu être passés sous silence aussi longtemps et échapper à la justice.

Le dossier Robert Spatz

L’enquête commence en Belgique, auprès du Liégeois Ricardo Mendes, 40 ans, aujourd’hui en quête de justice, explique le journaliste et réalisateur Wandrille Lanos. Il est l’une des nombreuses victimes, depuis l’enfance, du Belge Robert Spatz, également appelé lama Kunzang Dorje.

Mais comment de très jeunes enfants belges se sont-ils retrouvés à être élevés, sans voir leurs parents, par une communauté bouddhiste dans les Gorges du Verdon ?

Robert Spatz a créé la communauté OKC au milieu des années 70, après un voyage en Inde. Il installe un centre à Bruxelles et un autre à Castellane. Ce sont au départ des sortes d’utopie dans la mouvance New Age. Peu à peu, les règles vont se durcir et les enfants vont être laissés à la charge d’éducateurs, dans le sud de la France, tandis que les parents sont transférés dans le centre de Bruxelles.

Dans cette communauté, les principes de vie sont extrêmement rudes, on pratique les punitions, les sévices corporels, les abus sexuels. Robert Spatz sera condamné en appel à 5 ans de prison avec sursis, il s’est depuis pourvu en cassation.

Un problème systémique et sans réponse

Cette histoire n’est malheureusement pas un fait isolé. La journaliste Elodie Emery a énormément travaillé sur une histoire du même genre, mettant en cause le gourou Sogyal Rinpoché, décédé en 2018. Wandrille Lanos analyse :

On a compris qu’en fait, on avait affaire à un système. Un système, ça veut aussi dire qu’on retrouve des dénominateurs communs entre toutes les histoires. Et on s’est rendu compte que plusieurs signaux d’alerte avaient été envoyés aux plus hautes instances du bouddhisme tibétain, notamment au Dalaï-Lama.

Lors d’une grande conférence qui se tient à Dharamsala, en 1996, on peut ainsi voir les maîtres occidentaux demander au Dalaï-Lama de réagir à ces affaires de violences et d’abus sexuels. Mais il ne signera pas la charte de bonne conduite proposée.

Pourquoi ? L’interprétation est multiple, selon Wandrille Lanos.

On peut estimer notamment que le Dalaï-Lama a pensé que ce n’était pas son rôle, en tant que chef religieux. A l’époque, il était un chef politique très important d’une communauté en exil et il devenait une personnalité de premier plan, mondiale. Les chefs d’État commençaient à reconnaître la cause tibétaine. Il a dû penser que ce n’était pas le bon moment pour révéler des failles au sein du bouddhisme tibétain.

Par ailleurs, en tant que représentant d’une des 4 écoles principales du bouddhisme tibétain qui connaissaient entre elles des dissensions en interne, son rôle politique était très important.

Comment expliquer que le bouddhisme reste au-dessus de tout soupçon en Occident ?

Comment expliquer aussi que Sogyal Rinpoché, parfois considéré comme le n°2 du bouddhisme tibétain, auteur du Livre tibétain de la vie et de la mort, ait gardé la confiance du Dalaï-Lama pendant si longtemps, malgré tout ce qui lui était reproché ? En effet, malgré les accusations de mauvais traitements et d’abus sexuels sur des anciens disciples, il n’a jamais été inquiété par la justice.

Pour Wandrille Lanos, cet aveuglement de l’Occident a une cause historique. Le Tibet a construit, au fur et à mesure des âges, une sorte d’aura, il est devenu une sorte de territoire mythifié, préservé des dérives de l’Occident. C’est lié notamment à la façon dont le Tibet, territoire interdit aux étrangers, a été découvert, notamment avec l’exploratrice française du début du 20e siècle, Alexandra David-Néel.

Par la suite, dans les années 70, la vague hippie a marqué, de la part de l’Occident, une quête de spiritualité, débarrassée, une nouvelle fois, des dérives occidentales.

Il y a eu rencontre entre deux besoins. Les Occidentaux vont construire peu à peu l’image d’une spiritualité qui ne serait pas une religion, ou en tout cas qui serait une religion sans dieu. Et le bouddhisme tibétain, en tant que science de l’esprit, est la seule chose que les Tibétains peuvent exporter, pour survivre en exil.

__________________________________

Bouddhisme, la loi du silence, d’Elodie Emery et Wandrille Lanos, est un livre paru chez JC Lattès.

Le documentaire est à voir sur ARTE.