Dépénalisation partielle de l’avortement: il y a 30 ans, le coup de force de Baudouin


En refusant de signer la loi sur l’IVG, le roi a non seulement violé la Constitution et plus encore la démocratie. Cette dernière eusse voulu que le roi soit déchu. Nous avons jugé utile et opportun de rediffuser un article paru dans le journal Action Ouvrière de 1990.

Le roi viole la démocratie. La démocratie peut-elle tolérer le roi ?

L’écho de la Bourse, du 5 avril 1990, est inquiet : « Le refus du Roi de signer la loi dépénalisant l’avortement a naturellement soulevé une énorme vague de réactions. Tantôt, et le plus souvent, indignées, tantôt de compréhension. En tout cas, ce refus risque de diviser l’opinion et n’a pas fini de retentir. (…) Une brèche vient d’être ouverte dans la fonction royale. Craignons que ne s’y engouffrent les extrémistes de tous bords qui s’ingénient à détruire l’unité du pays, qui rêvent à la désintégration de la Belgique.« (1)

Pourquoi donc le roi s’est-il dès lors lancé dans un tel coup de force qui semble avoir comme conséquence une remise en cause de la monarchie ? Selon André Molitor, son ancien chef de cabinet, « le Roi est un des rouages essentiels de l’Etat. Il en apparaît comme la clé de voûte. Peu active en apparence, la fonction royale contribue à assurer la stabilité de l’ édifice politique. « (2) Le roi joue donc un rôle essentiel dans le maintien de l’État bourgeois belge tiraillé par les problèmes « communautaires ». Pour Dirk Achten, éditorialiste de De Standaard, « Le Roi n’est pas un Flamand, un Wallon ou un Bruxellois. Il est presque la personnification de la Belgique. « (3) Bref, le roi serait au dessus de tout. Mais, comme le faisait remarquer José Fontaine dans La Wallonie : « En bonne démocratie, l’État ne devrait-il pas procéder du (des) peuple(s) plutôt que de trôner comme quoi ? Comme un roi d’Ancien Régime …« (4)

L’hommage aux victimes de Grâce-Berleur

Pour perdurer, la monarchie a besoin d’une base, d’un soutien. La Question royale a rappelé en 1950 combien étaient profonds les sentiments républicains dans la classe ouvrière. Le congrès de Wallonie région d’Europe qui s’est tenu le 31 mars 1990 (soit quelques jours avant l’explosion de cette nouvelle Question royale), l’a encore rappelé en décidant d’ouvrir une souscription dont La Libre Belgique écrit haineusement qu’elle est destinée à permettre « le culte des morts de la question royale (les émeutiers de Grâce-Berleur et Julien Lahaut), au moment où la Belgique se prépare à célébrer les anniversaires du Roi et de son règne.« (5)

La loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), malgré son caractère limité, a été combattue farouchement par l’Eglise et toute une série d’associations réactionnaires qui se sont d’ailleurs fédérées au lendemain du vote de la loi au parlement. Il se fait que ces forces réactionnaires sont les mêmes qui avaient rappelé Léopold III en 1950, sont les mêmes qui étaient prêtes à aller à l’affrontement pour sauver la monarchie. D’autre part, le CVP, parti pivot de l’Etat, mais en même temps parti fragilisé par les courants qui le traversent, était, comme le PSC, opposé à la loi. Ce sont, par excellence, les partis « du trône et de l’autel« .

L’accord de mise en place du gouvernement Martens-Moureaux avait prévu que la question de l’IVG serait laissée à l’appréciation du parlement. La loi a été votée, soulevant la colère de la réaction la plus noire. Le roi avait alors trois solutions : signer la loi et se couper à son tour de sa base la plus traditionnelle dont il risque d’avoir besoin demain ; refuser de signer la loi, provoquer la chute du gouvernement et probablement une crise de régime ; utiliser le coup de force anti-constitutionnel et ainsi, sauver le gouvernement et sauver le régime sans pour autant se couper de sa base. Tout cela n’a pas grand chose à voir avec des problèmes de conscience, lesquels ne sont guère de mise au sommet de l’État, et en particulier d’une monarchie qui a sur les mains le sang des morts de la Question royale*.

Bien entendu, la « solution » retenue comporte elle aussi des menaces pour le régime. Mais d’ores et déjà, constatons qu’aucun parlementaire n’a remis en cause la monarchie lors du vote sur la fin de « l’impossibilité de régner« . Les parlementaires du PS et du SP, qui n’ignorent pourtant pas les sentiments républicains de nombreux militants socialistes, ont voté Oui comme un seul homme. Ce faisant, ils ont, dans l’immédiat, tout simplement sauvé la monarchie.

Et demain ? « A long terme, chacun – y compris le souverain – songe à une révision de la fonction royale en tant que branche du pouvoir législatif (6). Mais, comme nous le commentons dans notre article sur la signature des lois par le roi, tout indique que l’objectif des partisans de la couronne est, non pas de permettre l’affaiblissement de celle-ci, mais de concentrer son rôle sur les questions essentielles à la sauvegarde de l’État bourgeois.

La seule réalité, c’est que la démocratie ne peut tolérer l’existence d’un roi parce que celui-ci est l’anti-démocratie par excellence, puisque son pouvoir résulte de l’hérédité et en aucun cas du suffrage universel. La démocratie ne peut trouver à se développer réellement que dans le cadre de la République.

Action ouvrière n° 88 du 8 avril 1990

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1. L’écho de la Bourse, 5/4/90
2. La fonction royale en Belgique, Crisp, p.61
3. De Standaart, 6/4/90
4. La Wallonie, 6/2/90
5. La Libre Belgique, 7-8/4/90
6. Idem

  • Le 30 juillet 1950, à Grâce-Berleur la gendarmerie fit feu sur la foule qui manifestait contre le retour de Léopold 3, tuant 4 personnes parmi lesquelles 3 avaient combattu le nazisme..