Guillaume Lecointre
Etymologiquement, la cryptozoologie est la « science des animaux cachés ». Selon le père de la discipline, Bernard Heuvelmans (1916-2001), il s’agit de « l’étude scientifique des animaux cachés, c.à.d. des formes animales encore inconnues pour lesquelles sont seulement disponibles des preuves testimoniales ou circonstancielles, ou des preuves matérielles considérées comme insuffisantes par d’aucuns ». Selon un « Institut virtuel de cryptozoologie », il s’agit de la science qui étudie les « cryptides », formes animales présomptives, mais dont on a des indices de différentes natures : tradition locale, témoignages oraux, traces matérielles et autres fragments. Les animaux les plus emblématiques dont s’occupe la cryptozoologie sont par exemple le yéti, grand primate des vallées de l’Himalaya. L’almasty serait un humain complètement velu de deux mètres de hauteur reclus dans les montagnes du Causase. Nessie, ou le « monstre du Loch Ness » aurait été vue par plus de dix mille personnes, et dont les descriptions font penser à un plésiosaure. On est allés jusqu’à passer tout le lac au Sonar en 1987 pour finir par conclure que les signaux détectés en provenance du vivant sont ceux de bancs de poissons… Mais c’est sans doute le « cryptide » qui attire le plus de touristes au monde autour du lac, pour le plus grand bonheur de l’économie locale.
Il y a par ailleurs des catégories d’animaux « extraordinaires » qui ne relèvent pas de la cryptozoologie. Par exemple, les rhinogrades du zoologiste Pierre–Paul Grassé, qui sont des parodies ouvertement sorties de l’imagination de leur auteur. Tout comme la truite à fourrure ou le dahu, qui sont des canulars assumés. Les créatures délibérément imaginaires comme Alien, Godzilla, ou King Kong sont également hors champ. Enfin la découverte courante de nouvelles espèces par les moyens d’exploration de la zoologie ne relève pas non plus de la cryptozoologie…. Comme par exemple la nouvelle espèce de coelacanthe trouvée en 1999 en Indonésie. La cryptozoologie anticipe la découverte qu’elle prétend faire à partir des traces collectées.
S’agit-il de science ?
Beaucoup de sites et d’ouvrages présentent Bernard Heuvelmans comme « zoologiste », mais celui-ci n’a jamais fait partie de la recherche académique. Il s’agit d’un docteur en zoologie qui va poursuivre ses investigations en indépendant, et pour cela va créer une « discipline » et de nombreux livres qui contribueront à le faire vivre. Comme l’UFO-logie chasse les soucoupes volantes à partir des traces et témoignages qu’on a pu en récolter, la cryptozoologie chasse les traces d’espèces présomptives. Mais la cryptozoologie se défend d’être une sorte d’ « UFOlogie de la zoologie ». Sur le site français qualifié d’ « institut virtuel de cryptozoologie », la cryptozoologie se promeut comme science en commençant par dire qu’il n’existe pas de critères de scientificité. Se revendiquer comme science tout en considérant qu’il n’existe pas de critères pour définir une science, cela ressemble fort à un aveu. En revanche, toujours selon ce même site, on saurait mieux ce que sont les pseudosciences, et la cryptozoologie entend alors s’en démarquer. Si elle n’est pas de la pseudoscience, est-elle pour autant de la science ?
Une science calibrée pour ne
jamais apporter de découvertes…
Ce qui est en cause ici, ce n’est pas tant la sincérité avec laquelle la cryptozoologie respecte des critères de scientificité dans ses investigations. Ce qui fait problème, c’est l’accès à la réponse. On peut chercher scientifiquement les soucoupes volantes (pour reprendre le parallèle avec l’UFOlogie), les yétis et les monstres du Loch Ness, mais si dans tous ces cas on échoue à apporter la moindre preuve positive, il est difficile de vouloir construire une discipline scientifique autour d’une vacuité. On n’a jamais apporté la moindre preuve scientifique de l’existence des anges, qui sont pourtant bien présents dans notre culture, et on n’a pas forgé une science de cela. Le pastafarisme était une parodie à visée politique déclarée comme pastiche de religion, et non de science.
En fait, les promoteurs de la scientificité de la cryptozoologie semblent oublier qu’en science, la réussite de la démarche provient en partie de l’accessibilité présumée de la question posée. C’est une affaire de curseur. Poser une question trop vaste,qui part au-delà des moyens d’investigation du moment, ou dont le temps d’investigation donnerait une réponse dans cent ans, ne permet pas d’être fructueux. Il y a un ajustement à faire, qui relève du pari, entre la question posée qui est intéressante, et la possibilité anticipée d’y répondre dans un temps raisonnable. Là, on peut alors publier des propositions de réponse. Un scientifique qui passerait sa vie à chasser les spaghettis géants invisibles ou les anges ne publierait jamais un seul résultat positif et poursuivrait sa quête d’échec en échec. On ne peut pas fonder une science sur une suite de résultats négatifs. La question est dès lors la suivante : la cryptozoologie a-t-elle jamais déniché une seule de ses mascottes ?
… Et qui y réussit !
Les promoteurs de la cryptozoologie citent souvent l’okapi et le gorille des plaines comme des animaux découverts suite à des témoignages humains récoltés avant la description scientifique de l’animal. Comme pour justifier leur science. Ils oublient de mentionner que cela se passe à l’époque où la cryptozoologie n’existait pas encore. L’okapi fut découvert en 1901, le gorille des plaines au siècle précédent, la cryptozoologie a été fondée, elle, en 1955. Ces découvertes relevaient alors uniquement de l’activité normale de la zoologie. Car personne n’a jamais dit que la zoologie devait s’en tenir uniquement à des traces matérielles d’animaux pour partir sur les pistes d’une espèce nouvelle. En parallèle, il existe bien des grands animaux découverts depuis la création de la cryptozoologie (le saola Pseudoryx nghetinhensis en 1992, le tenkile Dendrolagus scottae en 1990, coelacanthe d’Indonésie Latimeria menadoensis en 1999), mais ces découvertes ne lui doivent rien et résultent de l’activité normale de la zoologie. En somme, la cryptozoologie n’a mené à aucune découverte d’espèce nouvelle. Bernard Heuvelmans distinguait pourtant encore, en 1986, pas moins de 140 animaux inconnus, et certains adeptes de la cryptozoologie font aujourd’hui monter ce nombre à 250. Or, en science la preuve est à la charge de ceux qui affirment. La cryptozoologie a seulement conduit à des démentis : mains de yétis qui n’étaient que des molaires d’éléphants, poils de yétis trouvés dans l’Himalaya qui n’étaient en fait que des poils du Goral, un bovidé local (Nemorhaedus griseus).
Les tenants de la cryptozoologie se promeuvent en mettant en avant l’exobiologie, domaine scientifique qui, lui non plus, n’a pas trouvé son objet, à savoir la vie extra-terrestre. Mais l’exobiologie ne se définit pas par le fait que son objet d’étude est caché. Celui-ci est juste situé en dehors de notre biosphère. L’exobiologie n’a sans doute pas (encore) trouvé la vie « ailleurs », mais si cette vie était trouvée, cela resterait de l’exobiologie. Or, c’est ce qui fait la différence avec la cryptozoologie : si un animal était retrouvé par la démarche cryptozoologique, il se retrouverait décrit par la zoologie, et non une science parallèle. Cela nous amène au point suivant.
Une science des fantômes
Si la cryptozoologie avait trouvé un seul animal, celui-ci serait devenu objet de zoologie ou d’anthropologie. La cryptozoologie ne reste elle-même que tant qu’elle ne trouve pas. Elle se condamne à courir derrière des fantômes. Soit la cryptozoologie est de la zoologie qui pose des questions sur les traces laissées par de nouvelles espèces, et alors elle n’est qu’une partie de la zoologie, voire de l’ethnozoologie –dans ce cas inutile d’en faire une science à part. Soit elle est une fascination pour l’inconnaissable. Et dans ce cas, elle ne peut pas être scientifique. Un scientifique se fascine pour l’élégance d’une réponse apportée à une question. Il lui faut de l’inconnu, qu’il va défricher, mais pas de l’inconnaissable. La biodiversité animale est belle, fascinante, et pour l’étudier, la zoologie seule devrait suffire à notre émerveillement.
Guillaume Lecointre
La Raison n°682 – juin 2023
Revue mensuelle de la FNLP






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