Billet d’humeur : Doux Jésus, Joseph, Marie… et la libre pensée dans tout ça ?


A. Lagrange
Membre de la Libre Pensée.

Quand le MR et son président jouent les défenseurs de la crèche catholique pour mieux torpiller la neutralité de l’État

La libre pensée, cette vieille dame indomptable, doit encore une fois sortir de sa réserve pour rappeler quelques vérités premières à ceux qui, comme Monsieur Georges-Louis Bouchez et son Mouvement Réformateur, semblent avoir oublié que la Belgique n’est plus tout à fait une paroisse. La polémique autour de la crèche de la Nativité de la Grand-Place de Bruxelles n’est pas une querelle de goût ou de tradition : c’est une attaque frontale contre la neutralité de l’État, et le droit de tout citoyen et citoyenne à ne pas se voir imposer les symboles et dogmes religieux d’une chapelle, d’une synagogue, d’une mosquée, d’un temple….

Le MR, cheval de Troie du cléricalisme

Pour le MR et son président, la crèche de la Nativité n’est pas un symbole religieux parmi d’autres (nous sommes d’accord) : c’est un étendard, un marqueur identitaire, un moyen de rappeler à l’ordre celles et ceux qui osent penser que l’espace public doit rester neutre. « Que c’est laid une société qui renie ses valeurs… », tonne Bouchez du haut d’un minaret du Qatar à l’heure de la prière, comme si la neutralité de la puissance publique était une insulte à la civilisation. Mais de quelles valeurs parle-t-il ? Celles de la libre pensée, de l’émancipation par la raison, ou celles d’un cléricalisme rampant qui voudrait faire de la Belgique une annexe du Vatican ?

Le CLP-KVD – pour ne citer que cette association – n’a de cesse de le rappeler : la neutralité de l’État n’est pas une option, ce devrait être un principe constitutionnel. Installer une crèche chrétienne sur le domaine public, c’est faire de l’État le promoteur d’un culte particulier, c’est imposer à tous – croyants, non-croyants, athées, musulmans, juifs, libres penseurs – un symbole qui n’est pas le leur. « La laïcité, c’est la liberté de conscience pour tous, et la neutralité de l’État est la condition de cette liberté », rappelle le CLP-KVD dans ses communiqués. Bouchez, lui, préfère brandir la crèche catholique comme un étendard contre « l’islamisation » ou « le wokisme », ces épouvantails commodes qui dispensent de réfléchir.

L’anticléricalisme, ce grand oublié du débat

L’anticléricalisme n’est pas une insulte, c’est une tradition de combat. Celle qui a permis à la Belgique de se libérer, pas à pas et que partiellement, de l’emprise de l’Église catholique sur la vie publique apostolique romaine. Quand Bouchez s’indigne que la crèche de cette année représente des « zombies » plutôt que des santons traditionnels, il oublie un détail : la crèche, c’est avant tout un symbole religieux, et l’État n’a pas à en faire la promotion. « La liberté de culte s’exerce dans les églises, les mosquées, les synagogues, les temples… mais pas dans les maisons communales, les écoles publiques ou les places publiques », rappelle le CLP-KVD. La crèche de la Grand-Place, aussi « traditionnelle » soit-elle, n’a rien à y faire. Point. Punt aan de linj, comme disent nos amis néerlandophones !

Et que dire de l’hypocrisie de ceux qui, comme Bouchez, pleurent sur le sort de la crèche catholique tout en méprisant les plus précaires ? « Profiteurs », « assistés »… Les mots sont lâchés sans complexe, mais soudain, il faut « défendre nos valeurs » quand il s’agit de symboles religieux. La charité chrétienne, dont vous vous prévalez visiblement, ne s’étend pas aux clochards ou aux réfugiés demandeurs d’asile, aux naufragés de la vie.

La laïcité, rempart contre les replis identitaires

Ce que Bouchez et ses laudateurs ne supportent pas, c’est que la Belgique devienne un pays où l’on peut ne pas croire, où l’on peut critiquer les religions, où l’on peut exiger que l’État ne favorise aucun culte. Leur combat pour la crèche n’est pas un combat pour la liberté religieuse : c’est un combat contre la liberté de conscience. En exigeant le retour d’une crèche « traditionnelle » sur la Grand-Place, le MR ne défend pas Noël : il attaque le droit de chacun à ne pas se voir imposer une religion. Ce qui n’est pas remis en cause par le bourgmestre de la ville de Bruxelles !

La crèche dans la sphère privée. La neutralité dans la sphère publique.

À ceux qui, comme Bouchez, veulent faire de la crèche un symbole de division, la libre pensée répond par un principe simple : votre religion s’arrête où commence la sphère publique. La Belgique n’est pas une paroisse, et le domaine public n’est pas une annexe de presbytère, de mosquée, d’église... La neutralité de l’État n’est pas une insulte à la tradition : c’est la garantie que personne ne sera forcé de vénérer ce qu’il ne croit pas.

Alors, Monsieur Bouchez, gardez vos santons pour votre salon. La Grand-Place, elle, appartient à tous – y compris à ceux qui, comme les libres penseurs, préfèrent la raison aux dogmes, et la liberté à l’obscurantisme.

« Ni Dieu, ni maître » – surtout pas sur le domaine public.

Chacun à sa place ! Autrement dit par un certain V. Hugo : L’État chez lui, l’Église chez elle !

A. Lagrange