Le prophète et le prolétariat


LE PROPHETE ET LE PROLETARIAT PAR CHRISTIAN EYSCHEN

Chris Harman (1942-2009) Là où les islamistes sont dans l’opposition, notre règle de conduite doit être : « avec les Islamistes parfois, avec l’État jamais ». En clair, c’est l’aphorisme connu : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis »… Sauf que c’est très rarement vrai.

Pour compléter l’analyse de la Libre Pensée sur l’extrême-gauche et le cléricalisme, il est loin d’être inutile de traiter du livre qui fait référence dans certains milieux « Le prophète et le prolétariat » de Chris Harman (1942-2009), dirigeant du Socialist Workers Party de Grande-Bretagne, issu du groupe « International Socialists » historiquement dirigé par Tony Cliff – pseudonyme du militant Juif Palestinien Ygael Gluckstein – qui rompit avec la IVème Internationale, en 1949, sur la question de « la nature de l’URSS› ».

C’est la Bible, ou plus exactement le Coran pour un autre courant […] courant que nous appellerons le « Secrétariat Unifié », issu de la pression dislocatrice du Stalinisme triomphant sur le Mouvement Trotskyste en pleine Guerre froide.

Ce qui se dégage de cette position politique, qui a des constats parfois formellement justes, mais qui amène à une soumission à l’Islamisme, peut se résumer en deux positions possibles. La première consiste à assimiler les « Musulmans » dans une globalité quasi unique (totale), que l’on a appelé la Théorie du « peuple-classe » où se dégagera plus tard, des différences de classes sociales. Une version plus déjantée, qui part de la même Théorie, consiste à considérer que les « Musulmans » vont remplacer la classe ouvrière dans la lutte contre l’impérialisme et pour la Révolution, « à Jérusalem l’année prochaine » sans doute.

Si la lutte contre l’Impérialisme est une condition nécessaire pour tout Révolutionnaire qui se respecte, est-elle pour autant une condition suffisante qui se substitue à toutes les autres ?

Il est évident que pour cette « extrême-gauche », pour qui Mahomet est à mettre à coté de Marx, la réponse est oui. La lutte contre l’impérialisme, sous toutes ses formes est l’alpha et l’oméga et peu importe avec qui.

Avant d’aller plus loin, il est indispensable d’affirmer un principe intangible : il ne doit être apporté aucun soutien à l’État, au gouvernement, au Pouvoir dans la répression de leurs opposants, quelques soient ses opposants. Ne jamais appeler à la répression contre les adversaires de l’État, du Gouvernement, du Pouvoir, même si ce sont aussi les adversaires des Combattants de l’Émancipation humaine. On voit que, par exemple, les « laïcs » xénophobes de « gauche » comme de droite, qui estiment que la loi « Séparatisme » n’est pas assez répressive, en appellent toujours à la répression contre leurs adversaires. Comme je le disais au Congrès national de la Libre Pensée à Clermont-Ferrand, en 2007, ces gens-là n’ont qu’un seul numéro dans leur annuaire téléphonique : le 17. Ils en appellent à la police en permanence.

Il faut aussi intégrer dans notre réflexion que les « Musulmans », (et pas seulement les « Islamiser » qui se distinguent des premiers par un projet politique de prise du pouvoir), sont soit la fraction la plus exploitée du Prolétariat dans les pays capitalistes, soit des peuples opprimés (même si une couche supérieure collabore avec l’impérialisme) par les nouvelles formes de colonialisme économique, militaire, culturel. C’est incontestablement le Capitalisme et le Colonialisme, et les retards du progrès vers une société industrielle de production par le pillage des pays, qui nourrissent l’islamisme.

Nous refusons de considérer tout cela comme des « globalités englobantes » qui ferait fi des individus et des forces sociales qui les structurent et que les « Islamistes » veulent utiliser pour leur conquête du pouvoir et pour leurs propres intérêts.

Manifestation de femmes en Afghanistan. le fonds de commerce des Fondamentalistes islamistes est rigoureusement le même que celui des intégristes catholiques : c’était mieux avant, seul le retour en arrière peut régler les problèmes. D’ailleurs la Doctrine sociale de l’Islam (Sourate des Abeilles) est rigoureusement la même que celle du Vatican : il y en a qui sont nées pour être Reines et les autres pour être des besogneuses.

Toute l’argumentation des « pabloreligieux » consiste toujours à se prendre pour des grands stratèges de la lutte politique. Ils ne raisonnent qu’en termes d’alliance ou d’opposition entre les « classes sociales » : avec qui faut-il s’allier dans la lutte contre l’Impérialisme ?

Chris Harman a cette formule éclairante qui résume la stratégie qu’il préconise : « Là où les Islamistes sont dans l’opposition, notre règle de conduite doit être : “avec les Islamistes parfois, avec l’Etat jamais“ ».

En clair, c’est l’aphorisme connu : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ».

Sauf que c’est très rarement vrai et que souvent les ennemis de mes ennemis sont aussi mes ennemis qui pourront demain s’allier avec leurs ennemis contre mes amis. L’Histoire est pleine de ces exemples qui se terminent toujours par des bains de sang. Dans la lutte contre l’Impérialisme pour eux, tout est bon à prendre, les Islamistes, Khomeiny (dans sa phase contre le Shah), le FIS contre le FLN en Algérie, les Talibans contre les USA, etc…

Fallait-il s’allier hier avec Dollfuss en Autriche au prétexte qu’il était un ennemi déclaré d’Hitler (qui le fit assassiner), alors qu’il était tout aussi fasciste qu’Hitler ?

Chris Harman explique ainsi que « si les Islamistes ne sont pas nos alliés… on ne peut être abstentionnistes avec eux… et qu’ils peuvent être influencés par les socialistes ».

On ne peut que lui souhaiter bon courage !

Mais pour lui, il y a en tout cas un ennemi identifié : « Pour eux (les Libres Penseurs), combattre l’influence des institutions religieuses et des idées obscurantistes constitue en soi la voie vers la libération des peuples ». Ce n’est pas cette voie d’analyse et d’action sur la religion qu’il préconise à l’évidence.

Son analyse de l’Islam est des plus sommaires, par exemple le Soufisme, la voie « spirituelle » de perfectionnement individuel par un dépassement personnel lui a complètement échappé. Il en fait une faction comme une autre qui revendique le pouvoir.

Chris Harman, et bien d’autres à sa suite, ont les mêmes phantasmes que les Intégristes catholiques contre la Franc-maçonnerie.

Pour lui, l’Islamisme est un monde à part que l’on ne peut comparer avec rien d’autre.

Or, le fonds de commerce des Fondamentalistes islamistes est rigoureusement le même que les Intégristes catholiques : c’était mieux avant, seul le retour en arrière peut régler les problèmes. D’ailleurs la Doctrine sociale de l’Islam (Sourate des Abeilles) est rigoureusement la même que celle du Vatican : il y en a qui sont nées pour être Reines et les autres pour être des besogneuses.

D’ailleurs qu’on fait les Frères Musulmans en Égypte, le FIS en Algérie, Khomeiny en Iran ?

Ils s’appuient dans un premier temps sur la petite bourgeoisie déclassée, sur les commerçants en difficultés dans les bazars et les souks, sur le Lumpenproletariat dans la misère noire qu’ils mobilisent et enrégimentent dans une double lutte : contre l’Etat et le Mouvement Ouvrier.

Et tout cela sur un fonds idéologique : le retour en arrière et l’apologie, pour les uns, de l’Islam dans sa pureté originelle, pour d’autres, ce fut la Race qui doit retrouver sa pureté originelle par l’épuration par le sang.

Comparaison n’est pas raison, mais il y a quand même de grandes similitudes avec le Fascisme et sa conquête du pouvoir. Pour les deux (Fascisme et Islamisme), c’est la même méthode de conquête du pouvoir. D’abord la violence, la revendication de l’ordre et du passé. Puis dans un second temps, quand un seuil critique est atteint, la conquête par les urnes.

N’y a-t-il pas une certaine ressemblance entre le « tournant »d’Hitler après son échec de putsch à Munich qui décide d’emprunter « la voie légale » par les élections et ce qu’a fait le FIS en gagnant les élections en Algérie et le Hamas à Gaza ?

Hitler prend le pouvoir par une offre de service au Grand Capital qui va le financer avec une mission : écraser le Prolétariat. Vient alors le temps de la SA.

Khomeiny gagne le pouvoir en écrasant les comités ouvriers, les syndicats, les partis ouvriers, par des bandes armées, il fait lui aussi le même boulot.

Abassi Madani (1931-2019), fondateur du Front islamique du salut (FIS) justifiera la répression contre les grévistes : « Les éboueurs ont le droit de réclamer leur droit, mais les poubelles n’ont pas le droit d’envahir notre capitale, et transformer notre pays en poubelle… Ce sont les grèves des syndicats, en général, qui sont devenues des terriers d’action pour les corrupteurs, les ennemis d’Allah et de la patrie, communistes et autres, qui se répandent partout du fait que le FLN se rétrécit et s’affaiblit… Nous vivons les jours de l’OAS ».

Abassi Madani (1931–2019), fondateur du Front islamique du salut (FIS) justifiera la répression contre les grévistes : « Les éboueurs ont le droit de réclamer leur droit, mais les poubelles n’ont pas le droit d’envahir notre capitale, et transformer notre pays en poubelle… Ce sont les grèves des syndicats, en général, qui sont devenues des terriers d’action pour les corrupteurs, les ennemis d’Allah et de la patrie, communistes et autres, qui se répandent partout du fait que le FLN se rétrécit et s’affaiblit… Nous vivons les jours de l’OAS ».

Et quand le FIS essaie de constituer des syndicats, il met en avant les devoirs des travailleurs et pas leurs droits, car « la lutte des classes n’existe pas dans l’Islam, le Coran n’en parle jamais ».

Autre similitude : Hitler quand il a vaincu la classe ouvrière et l’a remise à la production en détruisant ses organisations de classe, liquide la SA par la Nuit des Longs Couteaux menée par la SS, il rétablit l’Ordre. Khomeiny au pouvoir va aussi faire la même chose : épurer la société, liquider les bandes armées et rétablir l’Ordre.

Que fait le Hamas à Gaza, sinon maintenir l’Ordre par une répression violente contre les Palestiniens ?

Les méthodes sont les mêmes, Hitler fait le putsch à Munich, Khomeiny organise la prise de l’Ambassade des États-Unis à Téhéran, pour apparaître comme le champion de la lutte contre l’Impérialisme et fait taire tous ses opposants avec cela. Quand le FLN algérien veut liquider le MNA, il devance son Appel à l’insurrection et la déclenche le 1er novembre 1954, quelques jours avant la date décidée par Messali Hadj pour la déclencher. Et le Hamas fait pareil par l’opération d’octobre 2023.

Si Hitler agit au compte du Grand Capital et séduit l’Armée, son encadrement politique est appuyé sur la petite bourgeoisie en col blanc. Le personnel politique de Khomeiny a la même origine. Et les deux vont fonctionnariser en masse leurs clientèles pour leur assurer un avenir social. Et les deux vont faire jouer un certain rôle à l’Armée. Et les deux vont avoir, dans des situations économiques différentes, une politique quasi-identique pour « gagner » les ouvriers par des salaires et des emplois, pour stabiliser leur pouvoir.

Si l’on considère que l’Islamisme est un Totalitarisme en devenir et qu’une fois arrivé au pouvoir, il se débarrassera de ses oripeaux « anti-impérialiste » pour gérer les affaires de SA bourgeoisie, prôner une alliance, même conjoncturelle, tourne le dos au combat émancipateur.

Il y a une très grande différence de nature et de fonction entre « anticolonialisme », « anti-impérialisme » d’une part et « islamisme » de l’autre. L’anticolonialisme est émancipateur, et l’Islamisme remplace une oppression par une autre.

Ce n’est pas parce que l’Islamisme au pouvoir peut avoir des conflits avec les USA au titre de puissances concurrentes (comme l’Iran ou l’Autriche de Dollfuss avec le IIIe Reich allemand) que l’on peut revendiquer un soutien « même critique ».

Rappelons un fait historique : Quand les Staliniens en Allemagne tapaient à bras raccourcis sur les Sociaux-Démocrates, ce qui ouvrit la porte du pouvoir à Hitler, ils pouvaient s’allier dans des actions et même des grèves avec les nazis. Le « Secrétariat Unifié », flanc-garde hier de feu l’appareil stalinien, veut nous rejouer la même triste farce.

Tels maîtres, tels élèves.

Christian EYSCHEN, est secrétaire général de la Libre Pensée.
L’IDÉE LIBRE – 2025/ N°348 p. 68-72