La justice argentine accuse l’Opus Dei de trafic d’êtres humains et d’esclavagisme


Sources El Pais du 3/07/2025 et Le Monde du 17/07/2025 : La justice argentine a porté un coup sévère à l’Opus Dei, institution conservatrice influente et controversée de l’Église catholique. Mariano Fazio, vicaire auxiliaire de la Prélature de la Sainte-Croix et considéré comme numéro deux mondial de l’organisation, a été officiellement mis en examen pour trafic d’êtres humains et réduction en esclavage. Cette inculpation s’inscrit dans une affaire qui secoue l’Opus Dei depuis plusieurs années et qui vise désormais sa plus haute autorité actuelle, basée à Rome.

Une affaire aux racines profondes

L’enquête judiciaire, ouverte en 2022 à la suite de plaintes déposées dès 2021, accuse l’Opus Dei d’avoir recruté, par tromperie et promesses fallacieuses, au moins 43 jeunes filles âgées de 12 à 16 ans donc pas en âge de donner leur consentement éclairé pour un engagement religieux. Ces mineures, issues de milieux vulnérables, auraient été attirées par la promesse d’un logement, d’une scolarisation et d’une formation professionnelle, le tout dans un cadre religieux. En réalité, selon les procureurs argentins, elles ont été contraintes de travailler comme domestiques, sans salaire ni reconnaissance de leurs droits, pendant des décennies.

Les accusations visent désormais cinq prêtres de l’Opus Dei : Carlos Nannei, Patricio Olmos, Víctor Urrestarazu, Gabriel Dondo (ancien responsable de la section féminine en Argentine) et, depuis peu, Mariano Fazio. Ce dernier, qui a exercé comme vicaire régional entre 2010 et 2014, est aujourd’hui le principal collaborateur du prélat Fernando Ocáriz et le premier dans l’ordre de succession de l’organisation.

Un système d’exploitation et d’endoctrinement

Les procureurs argentins décrivent un système de travail forcé aggravé par un régime d’endoctrinement et de manipulation psychologique. Les femmes étaient soumises à des « règles de vie » strictes : chasteté obligatoire, rupture des liens familiaux et sociaux, examens médicaux imposés, administration de médicaments psychiatriques, et interdiction d’accès aux médias. D’après le dossier d’accusation, les femmes étaient contrôlées en permanence, rendant impossible leur départ.

L’Opus Dei, fondé en Espagne par José Maria Escriva de Balaguer, rassemble environ 90 000 membres à travers le monde, principalement des laïcs et une minorité de prêtres. Organisation très structurée et hiérarchisée, elle a été accusée de soutenir des régimes dictatoriaux. Son influence politique reste marquée, notamment en Amérique latine, où elle promeut une interprétation intégriste du catholicisme.

La défense de l’Opus Dei : une vocation librement choisie

L’Opus Dei rejette catégoriquement ces accusations. Dans un communiqué, l’organisation affirme que les femmes concernées étaient des « assistantes numéraires », des membres consacrés vivant une vocation religieuse au service des autres membres de l’institution. Selon elle, ces femmes étaient rémunérées, bénéficiaient d’une mutuelle santé, et vivaient dans un cadre respectueux de leurs droits, avec temps de repos et possibilité de quitter l’institution à tout moment.

L’Opus Dei dénonce une campagne médiatique et judiciaire biaisée, affirmant que la plainte initiale ne portait que sur des « incohérences dans les cotisations de retraite et d’emploi ». Elle réclame le respect du droit à la défense et un procès équitable pour les personnes mises en cause.

En mai 2025, Fazio et le prélat Fernando Ocáriz ont été reçus par le pape Léon XIV, qui leur a demandé de réviser les statuts de la prélature personnelle, dans le cadre d’une réforme plus large visant à réduire les privilèges de l’Opus Dei au sein de l’Église catholique.

Un procès qui pourrait faire jurisprudence

Cette affaire, qui touche désormais la plus haute hiérarchie de l’Opus Dei, pourrait avoir des répercussions majeures sur la réputation et le fonctionnement de l’organisation. Les procureurs argentins ont demandé au juge de convoquer les cinq accusés pour témoigner. Le procès s’annonce comme un test pour la justice argentine et pour l’Église catholique apostolique romaine, déjà ébranlée par de nombreux scandales de maltraitance et d’abus de pouvoir.

Reste à savoir si cette affaire marquera un tournant dans la manière dont l’Église gère les accusations de traite et d’exploitation, ou si elle s’ajoutera à la longue liste des crimes et scandales restés impunis.