Toutes les guerres sont des échecs de l’humanité


Tribune libre de Jean-Marie Darmian, qui revient sur les déclarations d’Omar Sy contre les guerres, suite à son film « Tirailleurs « .

Il faut vraiment ne plus avoir une once d’humanité pour s’en prendre à Omar Sy pour ses déclarations dans une entretien autour des guerres . En tentant de dénoncer toutes les guerres il a réussi à démontrer justement que dans notre pays nous avions une vision sélective d’un phénomène aussi vieux que l’Histoire de l’Humanité. Qu’a-t-il dit de si scandaleux ? Illico les exploiteurs des polémiques sont sorties de leur tranchée et lui ont donné raison.

Il présente actuellement un film qu’il a partiellement financé sur les fameux « tirailleurs sénégalais » auxquels notre civilisation aurait apporté la culture, la prospérité et une religion prônant le respect de la vie des autres qui devrait être projeté dans tous les collèges et les lycées. On estime qu’ils étaient 180.000 engagés de force dans la boue, le froid, la terrifiante boucherie de la guerre de 14-18. 30.000 d’entre eux ont été tués et oubliés ou presque dans une guerre qui n’était pas la leur si tenté qu’elle ait été celles des Poilus ! 

L’acteur, metteur en scène a simplement et franchement affirmé que toute société a une appréciation sur les conflits qui dépend de la proximité avec laquelle elle le vit. Aucun d’entre eux ne saurait en effet apparaître comme plus juste qu’un autre sauf si l’on cède aux pressions de la propagande, de la désinformation. Interrogé sur une guerre plus proche, celle qui ravage l’Ukraine, Omar Sy s’étonne que les gens se sentent plus touchés par ce conflit que par ceux qui se déroulent en Afrique. « Je suis surpris que les gens soient si atteints. Ça veut dire que quand c’est en Afrique vous êtes moins atteints? » Ce constat est contant dans la vie sociale. Il n’a rien de désobligeant à l’égard de quiconque.

Dans le milieu médiatique, plus que jamais ce constat s’impose et régit toute la hiérarchisation de l’information. Dans le jargon de la presse, on appelle ça « la loi du mort kilomètre » ou « principe de proximité » ou « le kilomètre macchabée » comme le disait le Pierre Lazareff.  Tout apprenti journaliste y est initié sans tarder, comme un bizutage venant télescoper l’idéal du métier. Cette loi présume que plus un événement est distant de nous, moins il éveillera notre intérêt. Cette manière de percevoir la guerre n’a donc rien d’extraordinaire. Tous les jours sur les chaînes de télé le volume des images démontre cette propension à trier nos indignations.

Ainsi la situation dramatique des populations du Nord-Kivu (République démocratique du Congo) aura-t-elle moins de chance de mobiliser l’attention que la situation des familles ukrainiennes. Ainsi la nouvelle – même fausse – de l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès a-t-elle éclipsé en quelques minutes l’offensive turque contre les Kurdes en Syrie.

Ce que l’acteur dénonce c’est la guerre et la perception que nous en avons. « Moi, je me sens menacé de la même manière quand c’est en Iran, ou en Ukraine », assure-t-il.

« Une guerre, c’est l’humanité qui sombre, même quand c’est à l’autre bout du monde. On se rappelle que l’homme est capable d’envahir, d’attaquer des civils, des enfants. On a l’impression qu’il faut attendre l’Ukraine pour s’en rendre compte. Oh, les copains ? Je vois ça depuis que je suis petit. Quand c’est loin, on se dit que là-bas, ce sont des sauvages, nous, on ne fait plus ça. Comme le Covid, au début, on a dit : c’est que les Chinois. » , souligne-t-il. Qui n’est pas d’accord avec ce constat? Il dérange comme tous les propos courageux mais il reste vrai.

Où est le scandale ? Son propos est universel. Il dénonce ce que nous devrions tous dénoncer. « On se rappelle que l’homme est capable d’envahir, d’attaquer des civils, des enfants. On a l’impression qu’il faut attendre l’Ukraine pour s’en rendre compte ». Les ONG tentent par tous les moyens de rappeler que l’inhumanité n’est pas propre à un lieu. Au Yémen la guerre a fait près de 380 000 morts, dont une grande majorité en raison des conséquences indirectes des combats, comme le manque d’eau potable, la faim et les maladies.

Le conflit entre l’armée nigériane et les groupes jihadistes du nord-est du Nigeria, qui dure depuis 13 ans, a causé la mort directe ou indirecte de près de 360.000 personnes dont 324.000 enfants, ont rapporté les Nations unies. Au moins 3.825 personnes ont péri dans les violences en Syrie en 2022, le bilan le plus bas depuis le début de la guerre dans ce pays en 2011, a annoncé l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). La liste serait trop longue…

Rappeler que les pertes militaires françaises au Mali et au Sahel sont, au 2 janvier 2023, de 58 militaires (57 hommes et 1 femme), dont 8 officiers, 3 officiers mariniers, 17 sous-officiers et 30 militaires du rang est parfaitement logique. Leur rendre hommage est absolument indispensable mais doit-on oublier que malgré leur présence que seulement en 2022 ce sont plus de 800 civils (femmes, enfants, vieillards majoritairement) qui ont été victimes de massacres collectifs ayant été recensés.

Omar Sy ne désigne pas spécifiquement les Françaises et les Français mais celles et ceux qui se sentent moins concernés quand des enfants sont massacrés par des bombardements à l’autre bout du monde où sur des territoires pour lesquels notre culture a moins de compassion. Son propos est convaincu mais lucide, sincère, humaniste. Je partage sans sourciller ses positions. Pour moi la guerre est une saloperie. Où qu’elle se déroule et quels que soient les belligérants.

Jean-Marie Darmian

Pour plus d’informations sur la « Force noire » comme le général Mangin qualifiait ces hommes enrôlés souvent de force dans la boucherie de 14-18, voir les actes du colloque d’Aix-en-Provence du 19/11/2016 Les colonies et leurs mobilisés dans la Grande Guerre aux Éditions de la Libre Pensée.