Spotlight, « un film percutant qui salue le courage de journalistes qui dénoncèrent une institution profondément corrompue »


« Godvergeten » raconte comment l’Église catholique romaine continue à cacher la vérité et à faire pression sur les victimes. Tout comme aux États-Unis, en France… elle l’a été non pas grâce aux mécanismes de régulation des institutions publiques – les services de protection de l’enfance, la police, la justice – ou religieuses, mais par un pouvoir extérieur, la VRT (télévision publique flamande). Godvergeten n’est pas sans nous rappeler le film américain : Spotlight.

Porte-parole de l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP) en charge de la campagne internationale contre les crimes sexuels commis par des prêtres, décidée à Oslo le 10 août 2011 lors du congrès de fondation, et Directeur exécutif de la National Secular Society, Keith Porteous Wood nous en fait l’analyse.

« Le film retrace l’investigation menée avec opiniâtreté par des journalistes du Boston Globe (réunis au sein d’une brigade spéciale d’investigation nommée Spotlight) au début des années 2000, à propos de cas d’abus sexuels sur des enfants commis dans le plus grand archidiocèse des Etats-Unis (Boston, Massachusetts). L’enquête déboucha sur la révélation d’un énorme scandale : ces abus sexuels sur des mineurs avaient été couverts à une large échelle par l’Église catholique, les représentants de la justice et tout l’establishment très catholique de la ville de Boston. Le travail de Spotlight fut d’ailleurs couronné par le prix Pulitzer.

L’histoire n’aurait sans doute jamais été dévoilée, si le nouveau rédacteur en chef du Boston Globe, Marty Baron, n’avait pas été juif – alors que ses prédécesseurs étaient catholiques – et originaire de Miami, ville où l’Église catholique exerce une influence plus restreinte sur le système judiciaire.

A son arrivée à la tête du quotidien, le cardinal Law convoque le nouveau rédacteur en chef du Boston Globe pour lui demander que les « deux institutions” travaillent ensemble, mais Marty Baron lui déclare que son journal est indépendant. Autre moment fort du film : lorsque l’enquête commence à progresser, le chef de « Spotlight », né à Boston et lui-même catholique, se voit sermonné et intimidé par l’une des personnalités catholiques les plus influentes de la ville, qui lui explique qu’il sera difficile, s’il continue son enquête, de retrouver du travail quand le nouveau rédacteur en chef sera parti. Mais le chantage n’a pas fonctionné.

L’investigation menée par l’équipe de journalistes dura 12 mois, divulguant toujours plus de cas d’abus sexuels protégés par l’archidiocèse – pour aboutir au final à plus de 250 cas. La population de Boston, jusqu’alors respectueuse de l’archevêque Bernard Law, demanda alors sa démission. Une manifestation se tint à l’extérieur de son palais, avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Klaxonnez si vous voulez qu’il démissionne ! » La cacophonie des automobilistes passant devant fut considérable. Les manifestants envahirent même la cathédrale. Le pape Jean Paul II tenta une intervention infructueuse pour dissuader Law de démissionner.

Après la demande de très nombreux prêtres qui signèrent une lettre exigeant son départ et la révélation de centaines de dossiers judiciaires avec des détails atrocement embarrassants, Law s’enfuit secrètement vers le Vatican – malgré une demande d’assignation -, où il fut mis à l’abri des conséquences judiciaires de ses actes et promu au poste prestigieux d’archiprêtre émérite de la basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome.

Le Vatican a été de tout temps un asile sûr pour de nombreux criminels

L’impact de l’enquête fut énorme. L’Église catholique a dû verser des millions de dollars et d’euros aux victimes en compensation et les Nations Unies ont enquêté sur son rôle dans les abus sexuels commis par des prêtres à l’échelle mondiale, enquête à laquelle la NSS a pris part2. L’analyse du film sur les événements de Boston est d’autant plus passionnante qu’il s’agit d’une histoire vraie, c’est un hommage mérité à la détermination et au long travail ingrat réalisé par les journalistes impliqués. Malheureusement, ce genre de journalisme d’investigation est de plus en plus rare. Alors il faut saluer l’équipe de Spotlight du Boston Globe pour avoir défié le pouvoir omniprésent d’une institution profondément corrompue. »

Keith Porteous Wood

Hasard du calendrier ?

Au moment où Spotlight sortait sur les écrans, Le Vatican annonçait « la mise en disponibilité ›› de Peter Saunders de sa qualité de membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, commission mise en place en mars 2014 par le Vatican à la suite du rapport des Nations Unies. Victime lui-même d’abus sexuels par des prêtres, Peter Saunders, qui a fondé la “ National Association for People Abused in Childhood, en Grande-Bretagne, s’est plaint du fait que la commission avait produit peu de résultats. Avant le début de la réunion de la commission, M. Saunders avait exprimé au Los Angeles Times sa frustration devant la lenteur des travaux. « La dernière réunion en octobre a été un non-événement. On m’a dit que Rome ne s’était pas faite en un jour, mais le problème, c’est qu’il ne faut que quelques secondes pour violer un enfant ››, a-t-il déclaré.

Il avait aussi qualifié le cardinal Pell, ancien archevêque de Sydney et préfet du Secrétariat pour l’Economie, mis en cause par une des victimes pour avoir voulu acheter son silence, de « sociopathe ›› et avait réclamé sa révocation de la commission. Peter Saunders s’était également prononcé contre la nomination d’un évêque chilien, Juan de La Cruz Barros, soupçonné d’avoir protégé un prêtre accusé de pédophilie. Mais le 6 février dernier, à la suite de sa « révocation » Peter Saunders a décrit ce vote de défiance à son encontre comme « scandaleux ». « je ne suis pas parti et je ne pars pas, a-t-il déclaré aux journalistes, j’ai été nommé par le Pape François et je ne parlerai qu’avec lui de ma position. »

Quelques jours auparavant, lors d’une conférence de presse le 1er février, l’Église catholique avait dévoilé les règles de bonnes pratiques transmises lors d’un séminaire pour les nouveaux évêques. L’une de ces règles indique qu’il n’est « pas nécessaire ›› de signaler aux autorités une accusation d’abus sexuel sur un enfant. Seules les victimes ou leur famille peuvent prendre cette décision. La seule obligation des évêques est de rapporter cela en interne auprès de l’Église catholique.

Une révélation qui fait désordre, alors que le pape François avait affirmé le 7 juillet 2014, rencontrant pour la première fois, treize mois après son élection, des victimes d’abus sexuels au sein de l’Église catholique, sa « tolérance zéro » à l’encontre des coupables d’abus sexuels dans l’Église. Mais il est vrai que les règles dévoilées en conférence de presse ont été rédigées par Tony Anatrella, prêtre et psychothérapeute du diocèse de Paris, auteur de « Mariages en tous genres, chronique d’une régression culturelle annoncée », dont les propos homophobes ont plusieurs fois été remarqués. En 2006, le journal La Croix rapportait que Tony Anatrella, aujourd’hui consultant auprès du Conseil pontifical pour la famille, avait été accusé par deux jeunes garçons de s’être livré avec eux à des « séances corporelles » et des « rapports sexuels ». Il a toujours démenti ces accusations.

Il n’y a décidément rien de changé au royaume du Vatican

Catherine Le Fur

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1 On peut lire sur le site de la National Secular Society de nombreux articles sur cette campagne et ses retentissements à l’échelle internationale et notamment le rapport établi par la NSS auprès des Nations-Unis : Rapport

2 Cf. La Raison n° 581 « Un rapport des Nations Unies » et n° 588 « Le Vatican esquive les questions posées parles Nations Unies ».