Au Québec, la visite de repentance du Pape a suscité des remous


par Claude Singer

Le Cri 2017 – Kent Monkman The Scream 2017

Le pape s’est rendu au Québec du 24 au 30 juillet 2022 (il est certes allé à Edmonton en Alberta et à Iqaluit (territoire du Nunavut au nord) deux lieux où il existe une forte représentation des « Premières Nations », le Nunavut étant d’ailleurs un territoire géré par les Inuits. Mais, c’est au Québec que vit la grande majorité des catholiques. Il y faisait, selon lui, un « pèlerinage pénitentiel », à savoir demander pardon pour la manière dont l’Église catholique a participé activement aux politiques d’assimilation forcée qui consistait à enlever aux familles autochtones leurs enfants pour « les former à la civilisation ». Évidemment, comme d’habitude l’évêque de Rome a minimisé le rôle de l’Église catholique dans cette affaire : d’une part en déclarant « demander pardon pour le mal qui leur a été fait par des chrétiens, parmi lesquels de nombreux catholiques » et d’autre part en affirmant : « Certains hommes et femmes d’Église ont été parmi les défenseurs les plus déterminés et courageux de la dignité des populations autochtones, prenant leur défense et contribuant à la connaissance de leurs langues et de leurs cultures ; mais, d’autre part, il n’a malheureusement pas manqué de chrétiens, à savoir des prêtres, religieux, religieuses et laïcs, qui ont participé aux programmes dont nous comprenons aujourd’hui qu’ils sont inacceptables et même contraires à l’Évangile. Et c’est pour cela que je suis allé demander pardon au nom de l’Église ». En gros « je demande pardon pour des crimes dont je ne me sens pas vraiment responsable » : l’habituel laïus du Vatican.

Il s’est même prononcé dans une interview contre : « cette doctrine de la colonisation » qui est « mauvaise, injuste ».  Pour revenir à notre colonisation de l’Amérique, celles des Anglais, des Français, des Espagnols et des Portugais : ce sont quatre [puissances coloniales] chez lesquelles il y a toujours eu ce danger, ou plutôt, cette mentalité : « nous sommes supérieurs et ces indigènes ne comptent pas, et c’est grave. Fort bien, mais encore une fois, il dédouane l’Église catholique de sa profonde responsabilité. Il semble oublier le traité de Tordesillas (1494) qui partage, sous l’égide du pape Alexandre VI le nouveau Monde (appelé terra nullus) entre les Espagnols et les Portugais. Or c’est justement cette question de « terra nullus » terre n’appartenant à personne qui est au cœur des polémiques. Comme dans chaque affaire de ce genre (Irlande, crimes pédophiles, colonisation…), l’Église considère que demander pardon suffit bien, mais qu’il ne saurait être question de dédommagements, enfin de dédommagements conséquents.

Un certain nombre d’autochtones représentant des Premières Nations n’ont pas du tout apprécié la présence du Pape sur leurs terres. C’est le cas notamment des « mères mohawks ». Les Mères mohwaks ou « kanien’kehà:ka kahnistensera », un petit groupe indépendant du Conseil de bandei de ce peuple dont les terres sont proches de Montréal.

Lors d’une conférence de presse donnée au pied du Mont Royal (La « montagne » qui domine Montréal, elle-même surmontée d’une immense croix), elles ont rejeté les excuses du pape : « Cette semaine est marquée par la visite du pape François en tant que représentant de la corporation la plus génocidaire de l’histoire, l’Église catholique ». Elles ont rappelé que dans la langue des iroquois, il n’existe pas de mot pour dire « je suis désolé », mais seulement pour dire « je vais réparer », tout en exigeant la reconnaissance des terres non cédées (Comme par exemple… Montréal et le Mont Royal). « [que] le pape quitte notre terre et emporte avec lui la croix et tous les symboles de [son] atrocité ».

Selon Éric Pouliot-Thisdale, attaché comme « recherchiste » à l’Université de Montréal, lui-même d’origine autochtone : « Le lac Ontario, New York et Montréal [Tio’tia:ke en langue Mohawk], formaient un genre de triangle délimitant le territoire mohawk. [Montréal] était comme la pointe nord-est du secteur où les Mohawks installaient des campements occasionnels (…) qui duraient de dix à vingt ans, qui déménageaient tout le temps pour que le sol ne soit pas surexploiter » Il ajoute que même si l’actuel Mont-Royal n’était pas occupé en permanence par les tribus autochtones (comme les Mohawks les Algonquins), c’était « un lieu de rencontre ›› Pour lui, il importe peu de savoir précisément à quelle nation appartient le Mont-Royal ou même si on ne peut certifier qu’il s’agit d’un « territoire non cédé », la croix devrait tout de même être démontée. « C’est un affront », « Si on a retiré la croix de toutes les institutions au nom de la laïcité et tous ces trucs-là, alors ce serait la moindre des choses, vraiment. » ajoute-t-il.

La ville de Montréal n’entend pas voir disparaître cette croix dont elle est propriétaire « [C’est] un emblème historique majeur de Montréal rappelant des événements historiques précis, et (. . .) elle est un symbole représentatif de la population canadienne-française ».

Pour les Mères Mohawks, au contraire, cette croix représente plutôt « la profanation et le génocide de notre peuple. C’est un symbole d’oppression, voilà pourquoi elle est là ».

Le fait que ce symbole de l’Église catholique et du clergé soit toujours présent représente la volonté persistante « d’anéantir » les peuples autochtones, affirme l’une d’entre elles. « Tout le monde sait de quelle manière ça nous affecte. Ça nous fait sentir impuissant et personne ne nous a jamais écoutées, n’a jamais écouté comment nous nous sentons. Nous sommes complètement ignorées ».

Les mères Mohwaks ont également engagé une action concernant le projet du nouvel hôpital Royal Victoria engagé par l’Université McGill de Montréal. Il s’agit du projet de la transformation d’une partie de l’ancien Hôpital Royal Victoria sur le flanc du Mont Royal en un pôle de recherche de pointe. Elles estiment que des fouilles archéologiques n’ont pas été entreprises afin de vérifier la présence de corps d’enfants (il y aurait eu des enfants autochtones à l’Institut Allan Memorial et des corps auraient été enterrés autour du site, à la suite d’expériences psychiatriques menées en collaboration avec la CIA entre 1954 et 1963)ii ou de sépultures autochtones. De son côté l’Université McGill n’est pas restée insensible : « Aucune réconciliation n’est possible tant qu’on ne connaît pas la vérité. Ainsi, nous nous tenons prêts à collaborer avec les représentants des gouvernements et des communautés autochtones pour que les recherches nécessaires soient réalisées. » Affaire à suivre, donc.

Claude Singer

La Raison n°675 – octobre 2022

Notes : 

i Le Conseil de bande est, au Canada, l‘assemblée des élus gouvernant une bande indienne. (Le terme lui-même relève du colonialisme. [Ndr] La Bande indienne est définie, en droit canadien – dans la « loi sur les Indiens, LRC 1985 ›› – par : « Groupe d’Indiens, selon le cas : a) à l‘usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951 ; b) à l‘usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d’argent; c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l‘application de la présente loi. » (Source Wikipédia).

C’est une loi éminemment raciste et discriminatoire, mais l’amender ou la modifier est très compliqué parce que les différents peuples autochtones ont des avis divergents sur le sujet, allant même, chez les Mohawks justement, jusqu’à l’utiliser pour pratiquer une certaine forme d’épuration ethnique sur leurs territoires.

ii programme top-secret MKULTRA. Le but des expériences était, à l’origine et officiellement, de trouver un remède à la schizophrénie. Cependant, en réalité, le projet a mené des expériences humaines illégales pour déterminer si les drogues et les techniques psychologiques pouvaient être utilisées à des fins de contrôle mental.