Évêques français – L’indemnisation sera-t-elle suffisante, et est-ce le prix du silence ?


par Keith Porteous Wood

Les évêques français ont annoncé, tardivement, que l’Eglise prendra en charge l’indemnisation des victimes d’abus sexuels commis par des clercs1, et que celle-ci sera proportionnée, comme l’a recommandé la Commission française CIASE. Cette commission a estimé qu’au moins un tiers de million de mineurs ont été victimes d’abus dans l’Église catholique en France depuis 1950, on peut donc supposer qu’il y a eu près d’un million de cas d’abus. Il est inconcevable que des abus d’une telle ampleur n’aient pas été largement connus des clercs. Le fait de ne pas signaler ces actes criminels et souvent destructeurs de vie constituait une violation des directives épiscopales et, depuis 2000, du droit séculier. Pourtant, le nombre de poursuites liées à ce million d’abus estimé a été minime. Au moins soixante-dix ans d’omerta et de règne de la terreur pour les dénonciateurs ont aggravé les abus en privant les victimes de la satisfaction de voir leurs auteurs confrontés à la justice, et ont permis à ces derniers de continuer à abuser, souvent activement aidés par des clercs de haut rang qui les déplaçaient régulièrement vers des paroisses qui ne se doutaient de rien.

Quelle confiance pouvons-nous avoir dans le fait que ce secret et la terreur des dénonciateurs disparaîtront après le sommet des évêques sur les abus à Lourdes ? Ne devrait-il pas s’agir d’un engagement formel que les évêques doivent prendre sous peine de perdre leur siège ?

La mise en place d’un nouveau tribunal canonique national chargé de juger les clercs accusés d’abus constitue une grave préoccupation à cet égard. Le droit canonique ne peut se substituer au droit pénal civil pour de telles affaires ; il n’est pas contradictoire et la peine maximale – la défroque – n’est pas suffisante. Aucune action canonique ne doit précéder une procédure pénale, sinon le risque existe qu’un acquittement canonique soit utilisé comme justification pour bloquer toute saisine de la justice civile.

Seul l’avenir nous dira si l’échelle d’indemnisation proposée par l’”organisme national indépendant de reconnaissance et de réparation” sera réaliste et s’il traitera les victimes équitablement et avec respect. Il est essentiel que l’organisme préserve farouchement son indépendance.

Marie Derain de Vaucresson, présidente du nouvel organisme, l’a déjà annoncé : “On ne va pas se caler sur l’indemnisation de la justice qui évalue le prix de la douleur. Nous sommes dans une autre dynamique, celle de la justice restaurative.”

D’après mon expérience dans le monde entier, par exemple en Australie2, l’Église catholique offre des systèmes de compensation uniquement lorsque cela est à son avantage, lorsque le coût est moindre (et souvent l’exposition des détails compromettants est moindre) que si les victimes allaient au tribunal. Les premiers signes ne sont pas encourageants.

Nous n’entendons rien sur ce que l’Église doit recevoir en échange de l’indemnisation. Un prêtre catholique français m’a dit qu’une condition préalable, si évidente qu’il n’est guère nécessaire de l’énoncer ouvertement, à toute compensation/gestuelle, aussi minime soit-elle, est qu’aucune action en justice ne soit engagée, que ce soit au pénal ou au civil.

Si c’est le cas, c’est l’affaire du siècle pour l’Eglise. Et c’est tout le contraire pour les victimes et en particulier les futures victimes, car il est difficile de croire qu’elle conduira à la divulgation de l’auteur présumé des faits aux tribunaux.

Ces énormes lacunes doivent être comblées ; les évêques et le nouvel organe doivent maintenant le déclarer :

*   Aucune attribution de compensation n’est subordonnée à une quelconque obligation de ne pas divulguer les noms des auteurs présumés ou de ne pas engager d’autres actions pénales ou civiles. Il est évident que les indemnités accordées par l’organisme seront déductibles de tout autre dommage accordé par les tribunaux.

*   Aucune mesure de rétorsion, y compris sur les perspectives de carrière futures, ne pourra être prise à l’encontre de ceux qui porteront de bonne foi des soupçons d’abus, y compris d’abus passés, à l’attention des autorités civiles, et que toute victimisation sera sanctionnée. Le nouvel organisme devrait être en mesure de statuer sur les plaintes relatives à de telles victimisations.

*   Les évêques introduiront des réglementations qui font de l’omission de signaler aux autorités civiles des soupçons raisonnables d’abus un délit inadmissible, comme la loi et les directives épiscopales l’exigent déjà, et que cela s’applique à tout abuseur présumé vivant. Un délai de grâce d’un an devrait être accordé pour la divulgation de soupçons d’abus du passé.

*   Un rapport annuel devrait divulguer séparément par diocèse et par ordre religieux le nombre d’évêques (ou l’équivalent dans les ordres religieux), de clercs et de laïcs au sujet desquels des soupçons d’abus ont été signalés aux autorités civiles, le nombre de ces soupçons qui ont été jugés fondés et non fondés et les sanctions imposées lorsqu’ils étaient fondés, ou qu’il n’y en avait pas. Les révocations recommandées pour les évêques et les responsables d’ordres religieux devront bien entendu être soumises à la Rome.

*   Le nouvel organe devra publier régulièrement des informations tout aussi détaillées sur le nombre de plaintes, la période à laquelle elles se rapportent et les montants versés au total et par tranches.

*   Les procédures canoniques ne seront engagées qu’après la conclusion de toutes les procédures pénales et civiles séculaires.

Keith Porteous Wood est président de la National Secular Society du Royaume-Uni et porte-parole de l’AILP
(Association Internationale de la Libre Pensée)

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