Le secret professionnel en danger


Depuis les attentats et sous prétexte de lutter contre le terrorisme, on assiste à une inflation de lois sécuritaires, de lois liberticides. La dernière en date porte sur la levée du secret professionnel des membres du personnel des institutions de sécurité sociale.

Nous n’acceptons pas cette politique de la peur, celle qui n’offre aucune sécurité mais qui assurément permet de violer nos principes les plus essentiels.

Plus que jamais, il convient de rappeler qu’il n’y a pas à choisir entre sécurité et liberté, sauf à entrer dans un marché de dupes qui, à terme, ne garantit ni l’une ni l’autre.

Notre rejet est absolu. Nous appelons tous ceux et celles qui partagent une autre idée de la démocratie à le manifester avec la FGTB, la Ligue des Droits de l’Homme, etc

RDV 16 février – 13h30 -16h30 Place Poelaert – Bruxelles

Nous vous invitons à lire la Lettre ouverte de Yvon Engler, du Recteur de l’ULB, au Premier ministre sur le secret professionnel des assistants sociaux

 

Monsieur le Premier Ministre,

Lors des cérémonies qui ont suivi les attentats du 22 mars, vous avez souligné que ceux-ci visaient non seulement à semer la terreur, mais surtout à cliver notre société et porter atteinte aux valeurs essentielles au vivre ensemble. Vous avez appelé à nous unir pour combattre ces assassins sans faiblesse, mais aussi pour défendre le modèle de société qu’ils attaquent et garder son sang-froid sans céder à la provocation ni tomber dans leur piège. Et cela était juste et fort. Permettez-moi de vous dire que l’actuel projet de loi abolissant le secret professionnel des assistants sociaux dans les affaires de terrorisme, porté par la N-VA, marque une rupture par rapport à ces principes.

En effet, le secret professionnel est un élément essentiel de l’équilibre des pouvoirs entre l’état et le citoyen: il rappelle que le pouvoir de la police et de la justice n’est pas absolu, il protège des valeurs essentielles comme la liberté de la presse à travers le secret professionnel des journalistes, l’exercice des cultes à travers celui des prêtres, l’accès aux soins de santé à travers le secret médical ou la protection des justiciables à travers le secret professionnel des avocats. Il faut rappeler que l’article 458 du code pénal ne fait pas de ce devoir qu’est le secret professionnel (il s’agit bien d’un devoir et non d’un droit) un devoir absolu, puisque le secret doit être rompu en cas de danger immédiat pour des tiers, et qu’il permet toujours à la personne tenue au secret de le rompre devant un juge. 

Le projet de loi actuel n’est donc en rien nécessaire à la lutte contre le terrorisme et le fait d’avoir ciblés les assistants sociaux des CPAS alors que le secret professionnel couvre sous le même vocable l’ensemble des professions ci-dessus doit éveiller notre méfiance. D’abord parce qu’il n’y a aucune logique à adopter une loi ciblant spécifiquement les assistants sociaux, et que donc, une fois votée, la cohérence du droit appellera à l’étendre à l’ensemble des professions tenues au secret. En ce sens, c’est un projet de loi habile mais lâche, car il est évidemment plus aisé de s’attaquer aux assistants sociaux qu’aux médecins ou aux journalistes. Mais que ceux-ci ne se fassent aucune illusion: l’extension de la disposition pour faire de l’ensemble de ces professionnels des délateurs suivra immanquablement à la première occasion.

Toutes les dérives totalitaires commencent par des dispositions « mineures » clivant les démocrates, et, à ceux pour qui l’Allemagne de 1933 paraîtrait trop loin dans leur mémoire, il suffit de se référer à l’histoire récente et examiner comment le président Erdogan a utilisé le putsch manqué de juillet dernier pour détricoter les libertés démocratiques du peuple turc pour s’en convaincre. Mais le choix fait par la N-VA, qui n’a jamais été prompte à défendre le travail social, d’isoler dans ce projet de loi les assistants sociaux des CPAS, est évidemment habile et particulièrement cynique, car le projet de loi véhicule le message subliminaire que les terroristes seraient des assistés, que les services sociaux ne seraient utilisés que par nos concitoyens musulmans, que les assistants sociaux pourraient être des protecteurs des terroristes. Pour un parti qui court derrière les électeurs du Vlaams Belang, qui n’a que faire du travail difficile, indispensable mais souvent ingrat que font les CPAS pour offrir un filet de sauvetage aux plus démunis et aux exclus d’une société qui n’a jamais produit autant de richesse, c’est une démarche compréhensible et cohérente. Elle fait d’une pierre au moins 3 coups. Mais lorsque les partis « traditionnels » tombent dans le piège et en viennent à instrumentaliser les victimes du 22 mars pour justifier l’injustifiable, il nous semble légitime de sonner l’alarme.

Monsieur le Premier Ministre, les hôpitaux de mon université, que ce soit l’hôpital Erasme où ceux de la ville de Bruxelles, se sont mobilisés pour les victimes du 22 mars. Ils ont été en première ligne le jour de ce drame, et l’ULB, plusieurs fois menacée d’attaques à la bombe, ne peut être suspectée de faiblesse face à la terreur et aux attentats. C’est justement pour cela que j’appelle à un sursaut démocratique pour défendre les valeurs que ces criminels ont voulu mettre en péril. Vous avez la possibilité de ne pas adopter cette loi qui ne fait pas partie du programme de gouvernement et ce sans mettre en danger votre majorité: donner la liberté de vote dans une matière éthique comme celle-ci est logique, et j’appelle nos élus à ne pas adopter une loi inutile pour la sécurité de nos concitoyens et tellement dangereuse pour notre démocratie.

04/02/2017